Le président serbe à Moscou, entre fraternité russe et défiance vis-à-vis de Bruxelles – Euractiv FR
Au risque de s’attirer les foudres de Bruxelles, le président serbe Aleksandar Vučić entend assister vendredi 9 mai aux célébrations à Moscou du 80e anniversaire de la victoire contre l’Allemagne nazie, nouvelle illustration de sa politique d’équilibriste entre ses affinités russes et ses aspirations européennes.
Le Kremlin a annoncé une entrevue vendredi entre Vladmir Poutine et Aleksandar Vučić .
L’Union européenne a pourtant été « parfaitement claire » avec ses partenaires, « y compris les pays candidats [à l’adhésion à l’UE] comme la Serbie », officiellement candidate depuis 2012 : « les relations avec la Russie ne peuvent pas continuer comme si de rien n’était avec le régime de [Vladimir] Poutine, à l’ombre de la guerre d’agression […] de la Russie contre l’Ukraine », a averti vendredi dernier Markus Lammert, l’un des porte-paroles de la Commission.
Il n’a pas voulu « spéculer » sur de « possibles conséquences », laissant les coudées franches au dirigeant nationaliste que Vladimir Poutine a décoré en 2019 de l’Ordre d’Alexandre Nevski, pour être un « partisan des relations les plus étroites et chaleureuses possible entre la Russie et la Serbie ».
Au pouvoir depuis 2012, Aleksandar Vučić marche sur une ligne de crête.
La Serbie a historiquement entretenu des liens étroits avec la Russie, et une aversion commune pour l’alliance militaire de l’OTAN après les bombardements de 1999 pendant la guerre au Kosovo. Depuis février 2022, Belgrade refuse de couper ses liens avec Moscou, n’applique aucune sanction envers la Russie, tout en votant contre elle des résolutions à l’ONU.
Maintenir de bonnes relations avec le président russe sans s’aliéner les faveurs de l’UE est « un pilier de la politique étrangère » d’Aleksandar Vucic, même si « il a été plus prudent ces dernières année », souligne Florian Bieber, de l’Université de Graz. Selon lui, se rendre à Moscou c’est « menacer l’UE » de regarder ailleurs.
C’est aussi « calibrer l’intensité de la relation de la Serbie avec l’Europe », estime Eric Gordy, spécialiste des Balkans à l’University College de London. Une manière de faire perdurer « cette mythologie qui s’est développée du temps de la Yougoslavie lorsque Tito cultivait avec beaucoup d’efficacité cette figure de l’indépendant vis-à-vis des deux grands blocs » soviétique et américain.
Côté russe, avoir « au milieu des Balkans, le plus grand pays, la plus grande économie, c’est un très grand levier à utiliser pour ne pas exercer d’influence directement mais juste pour être là, provoquer », « instrumentaliser », voire « ruiner des initiatives européennes », estime Nemanja Todorovic Stiplija, du Centre pour la Politique Contemporaine basé à Belgrade.
Un « malentendu »
Les liens se traduisent par des hélicoptères Mi-17 et un système de défense aérienne Pantsir vendus à la Serbie, ou, en pleine pandémie de Covid par la livraison de matériel médical et vaccins Spoutnik, ou encore par des soutiens à l’ONU, notamment sur le Kosovo, ancienne province serbe à majorité albanaise qui a proclamé en 2008 son indépendance, jamais reconnue par Belgrade.
L’Église orthodoxe de même que la présence en Serbie de média russes tels que Spoutnik, TASS ou RT Balkan constituent des canaux de communication utiles à Vladimir Poutine, à l’effigie duquel mugs et chaussettes se vendent dans des kiosques au coeur de Belgrade.
La Russie garde par ailleurs une mainmise avec le contrôle de l’approvisionnement en gaz, son géant de l’énergie Gazprom possède par exemple des infrastructures énergétiques cruciales en Serbie.
Aleksandar Vučić est là aussi sous pression. L’UE est en train de réduire sa dépendance à l’énergie russe, en pleine négociations de Belgrade d’un nouvel accord gazier pluriannuel avec la Russie.
Pour autant, la Russie n’est pas un investisseur majeur, la Chine l’est. Elle a investi des milliards de dollars en Serbie et chez ses voisins des Balkans ces dernières années, espérant étendre son influence économique en Europe centrale. L’UE est un autre grand investisseur, avec lequel par ailleurs se fait la majorité des échanges commerciaux.
Selon Todorovic Stiplija, la mainmise du Kremlin « n’est pas si grande, mais le gouvernement serbe essaie d’utiliser d’une certaine manière ce malentendu selon lequel il existe une très grande influence politique russe dans le pays ».
« Ce n’est pas tant une influence » russe sur la Serbie « qu’un intérêt convergent entre les deux », dit Florian Bieber, qui souligne que « la plupart des médias anti-occidentaux en Serbie sont des médias serbes ».
Aller à Moscou est par ailleurs pour Aleksandar Vučić « un geste populiste vers la frange droite de la Serbie », dit Eric Gordy, et ce « à un moment où son gouvernement est très sérieusement ébranlé par des manifestations » anticorruption dont le catalyseur a été l’effondrement mortel en novembre du auvent de la gare de Novi Sad, dans le nord du pays, tout juste rénovée.
Le président serbe dénonce des « ingérences étrangères », évoquant, en écho à Vladimir Poutine, une « révolution de couleur ».
Auteur : Chris Powers
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