
Mercredi 19 mars 2025, 10 heures, arrêt quai de Lesseps à Bayonne (64). Une quinzaine de personnes dont StreetPress attendent l’arrivée du Flixbus en provenance de Bilbao. Parmi eux, un jeune homme noir, qui ne comprend que quelques mots de Français. Il va à Toulouse (31), et s’assoit tout au fond du car. Les Pyrénées défilent par la fenêtre. Les arrêts sont brefs. Une passagère descend à Orthez (64), trois montent à Lacq (64). À Pau, alors que plusieurs se lèvent et préparent leurs sacs, le chauffeur annonce au micro :
« Restez assis, il y a la police. Contrôles d’identité. Sortez vos documents. »
Deux policiers, brassard orange au bras, remontent l’allée. Hormis deux ou trois cartes de voyageurs qu’ils regardent rapidement, les agents vont droit au but, vers la seule personne noire à bord, qui leur tend un papier plié. « C’est quoi ton nom ? Diallo ? En deux mots ? Guinéen ? » interroge l’un des deux, son carnet de notes ouvert. « C’est quoi ton année de naissance ? Hein ? Tu sais pas ? Tu as un sac en soute ? » Une minute plus tard, le car vert repart avec un passager en moins.
Une priorité
« Depuis 2019, il y a souvent des contrôles des bus, notamment au péage des Landes », confirme Amaia Fontag, porte-parole de la fédération Etorkinekin Diakaté, un collectif d’aide aux migrants au Pays Basque. « Mais depuis l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement qui diffuse et applique des idées de la droite extrême, on constate que les contrôles se renforcent », assure-t-elle, en référence aux mesures vantées par le très droitier ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. « Désormais, il y a même des contrôles au départ du bus à Bayonne. C’est arrivé trois fois depuis février, avec à chaque fois des arrestations », note-t-elle, marquée par un déploiement spectaculaire à la fin du mois de mars :
« Ils contrôlaient tout à la recherche de migrants. »
Depuis les annonces sur la « force frontière » vantée par Bruno Retailleau et le Premier ministre François Bayrou, les grosses opérations de « contrôle des flux migratoires » se succèdent. « Ils ciblent tout moyen de transport, trains, bus, camions, voitures… », précise-t-on du côté de la police. Ainsi, le 11 avril 2025, le ministre de l’Intérieur, en déplacement dans les Pyrénées-Atlantiques, est interviewé devant le péage de Biriatou et se félicite de l’interpellation de « 144 étrangers en situation irrégulière » lors du dernier déploiement de la « force », du 25 au 27 mars 2025. 350 effectifs des forces de l’ordre (gendarmerie, police et douanes) ont quadrillé une grande zone frontalière avec l’Espagne. Interrogé à l’occasion d’un reportage du Figaro, un responsable confirmait contrôler avec priorité les cars internationaux. Mais ni le ministère de l’Intérieur, ni la police nationale n’ont souhaité partager de chiffres sur les contrôles et interpellations réalisées à bord des bus.
« Les personnes en situation irrégulière ne prennent pas le TGV »
Si cette nouvelle force cible surtout deux zones, proches de l’Italie et de l’Espagne, les contrôles d’identité dans ces transports low-cost ne se limitent pas aux lignes internationales. Le 24 février dernier Clarisse prend le car à la gare de Paris-Bercy, direction Rennes (35). À 9 heures du matin, dans un petit village près du Mans, le Blablabus tombent sur des gendarmes qui le somment de s’arrêter sur un parking. Cinq uniformes montent à bord : « Nous allons procéder à un contrôle d’identité. » Cette fois, l’opération est plus minutieuse, et les identités de tous les passagers sont vérifiées.
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« Devant moi, il y avait deux hommes racisés âgés d’une trentaine d’années », se rappelle-t-elle. Un des pandores leur sort que leurs documents ne « fonctionnent pas, qu’il fallait une autre pièce d’identité ». « Un des deux était en colère, car c’était vécu comme une injustice flagrante de se faire contrôler comme ça. Un autre agent est venu, et finalement, il leur a été demandé de sortir avec toutes leurs affaires. C’était le silence autour », témoigne Clarisse, qui se souvient du sentiment d’impuissance et de l’absence de réaction des passagers. Elle continue :
« On regardait par la vitre, ça a bien duré 15-20 minutes, puis les portes se sont refermées et le bus est reparti en laissant les deux personnes avec les gendarmes. »
« Les personnes en situation irrégulière sont plus précaires, donc elles prennent plutôt un Flixbus qu’un TGV. Il suffit d’un billet pour monter à bord, il n’y a pas la crainte des contrôleurs de la SNCF. Logiquement, les contrôles de police sont donc très fréquents. On n’a pas connaissance de directives, mais c’est vrai qu’on note un renforcement des contrôles, et ce depuis quelques années », reconnaît un communicant de la compagnie Flixbus. Sidney, originaire du Cap-Vert et « en situation illégale depuis cinq ans en France », en a fait les frais. « Je pensais voyager en sécurité dans le Flixbus, c’est pratique et pas trop cher. Et puis un jour, il y a eu un contrôle d’identité surprise. Je pensais que le voyage s’arrêtait là pour moi, mais j’ai eu beaucoup de chance, ils n’ont rien dit. Depuis ça, je me dis que c’est trop risqué. C’est épuisant d’avoir tout le temps peur. Maintenant, je prends les petites routes en voiture avec des amis, c’est moins dangereux. »