
François Bayrou a dit « non » à un retour de l’âge de l’égal de départ à la retraite à 62 ans, alors qu’il était invité dans l’émission « Questions politiques » de France Inter, franceinfo et Le Monde dimanche 16 mars, provoquant l’incompréhension des partenaires sociaux qui participent en ce moment à un conclave sur les retraites, à l’initiative du Premier ministre. Dans cette interview, François Bayrou a aussi remis sur la table le sujet des retraites du secteur public. « Nous devons à tout prix avoir deux discussions : une sur le privé et une deuxième à se demander quelle méthode nous pouvons trouver pour ce qui est des retraites du public pour qu’on ait à terme un retour à un meilleur équilibre des finances publiques », a-t-il déclaré.
Mais cette phrase fait hérisser les poils de Denis Gravouil, membre du bureau confédéral de la CGT, chargé des négociations sur les retraites. « Il faut arrêter avec ça », a-t-il tranché lundi 17 mars sur franceinfo. Selon lui, François Bayrou « s’accroche à un truc qu’il avait sorti quand il était au Haut-commissariat au Plan sur un ‘déficit caché’ [des retraites du secteur public], mais ça a été écarté par la Cour des comptes, donc il faut arrêter avec les fantasmes ».
Les régimes de retraites du public sont-ils en déficit ?
En réalité, cela dépend des métiers du public. La caisse de retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers est bel et bien en déficit de 2,6% en 2025, selon un rapport de la Cour des comptes sur la situation financière et les perspectives du système de retraite paru en février. Ce déficit risque de se creuser jusqu’à environ 6% en 2045. En comparaison, le régime général de base des salariés du privé est actuellement en déficit de 6% et risque de l’être de plus de 30% en 2045, selon ce même rapport.
En revanche, le régime de retraite des fonctionnaires civils et militaires de l’État – qui n’est pas une caisse de retraite – est « équilibré par construction », selon la Cour des comptes. Il est financé par les cotisations sociales des agents, par les employeurs autres que l’État mais surtout par l’État qui paie à la fois sa cotisation employeur, prend en charge les dépenses de solidarité et paie aussi une rallonge éventuelle pour maintenir le système à l’équilibre, avec un solde nul.
La théorie d’un « déficit caché »…
Quand François Bayrou mentionne un déséquilibre du régime de retraites du public, il s’appuie en réalité sur des analyses de certains économistes avec des approches plutôt libérales. Ces derniers ont remarqué que les taux de cotisations employeur étaient très différents dans le public que dans le privé. Dans le privé, le taux de cotisations des employeurs pour les retraites est de 16% environ. Dans le public, le taux de cotisation employeur qui revient à l’État est bien plus élevé : près de 80% pour les fonctionnaires civils et près de 130% pour les militaires.
Ces économistes estiment que le taux de cotisation dans le privé est une référence et qu’il est possible, à partir d’elle, de conclure que les employeurs du public sont obligés de surcotiser pour maintenir le système à l’équilibre. Une surcotisation qu’ils estiment d’un montant de 42 milliards d’euros, dont 35 milliards payés par l’État. C’est ce que certains appellent le « déficit caché ». François Bayrou l’avait déjà dénoncé lors de son discours de politique général devant les députés en janvier.
… réfutée par un rapport de la Cour des comptes
Or, la Cour des comptes explique cette comparaison ne tient pas car les systèmes de retraite du privé et du public sont trop différents pour être comparés. « Des différences fondamentales entre le régime général et celui des fonctionnaires civils et militaires de l’État peuvent, toutefois, justifier les écarts conséquents entre les taux des deux régimes », écrit-elle.
Il y a plusieurs raisons. D’abord, le régime des fonctionnaires civils et militaires de l’État est à la fois un régime de base et une retraite complémentaire, alors que le régime général des salariés du privé n’est qu’un régime de base. Par ailleurs, l’évolution démographique est défavorable au régime du secteur public en raison du vieillissement de la population et de la maîtrise des effectifs de l’État. Dans le privé, il y a plus de personnes qui cotisent que de personnes qui perçoivent une pension de retraite alors que, dans le public, c’est quasiment un pour un. Il y a aussi davantage de départs précoces à la retraite dans le public en raison de métiers pénibles ou dangereux, notamment dans la santé, la police ou l’armée, ce qui raccourcit les temps de cotisation.
« Au total, les taux de cotisation employeurs sont difficilement comparables, tant chaque régime présente des spécificités et intègre les effets de règles particulières. En 2023, le conseil d’orientation des retraites a calculé pour chaque régime un taux de cotisation permettant de financer dans leur intégralité les prestations servies. Cette étude neutralisait les différences d’assiette de cotisation, les écarts démographiques et les disparités de périmètres de cotisations et de prestations. Avec cette méthode, le régime des fonctionnaires civils et militaires de l’État avait un taux de cotisation quasi identique au régime général », commente la Cour des comptes.
La Cour concède néanmoins qu’il y a un manque de transparence dans ce que recouvre la contribution de l’État. On sait qu’il peut verser une éventuelle compensation pour maintenir le système à l’équilibre, mais on ne connaît ni son montant ni son poids dans la dépense de l’État.
En revanche, et pour conclure, il faut bien garder à l’esprit que, puisqu’il s’agit des retraites d’anciens fonctionnaires, tout cela – aussi bien les cotisations sociales que les cotisations employeurs – est de toute façon financé par la dépense publique.