
Jour traditionnel de revendications syndicales et sociales, quels sont les ingrédients pour qu’un 1er-Mai mobilise en France ? Pourquoi des manifestations d’ampleur explosent de temps en temps, alors l’affluence est moyenne dans la majorité des défilés ? L’année 2025 sera-t-elle mobilisatrice ? 20 Minutes revient sur les mobilisations des 1er-Mai et les ingrédients des grands « crus ».
Un point d’histoire tout d’abord. Le 1er-Mai fait référence à la date anniversaire, en 1886, de l’appel de syndicats ouvriers américains pour exiger la journée de huit heures. Adoptée par l’Internationale ouvrière en 1889, la journée devient fériée après-guerre. « Le fait que ce soit en France un jour chômé a fait du 1er mai un rendez-vous traditionnel pour les mouvements syndicaux et sociaux, rappelle Karel Yon, chargé de recherche CNRS (section sociologie et sciences du droit). Mais comme c’est un rendez-vous traditionnel, dans des contextes un peu routiniers, il ne va y avoir que les habitués qui vont s’y retrouver. Mais quand il y a une actualité spécifique, ce sera investi comme un moment de protestation beaucoup plus massif. »
Sur les 25 dernières années, on remarque des pics d’affluence en 2002, 2009, 2012, 2019 et 2023, bien que les chiffres entre les sources syndicales et de la police soient différents. Les premières ont en effet tendance à gonfler les effectifs, quand le ministère de l’Intérieur tend à les diminuer.
Quels sont les ingrédients d’une mobilisation d’ampleur ?
L’assaisonnement, simple sur le papier, est le suivant : « Il faut un appel unitaire des syndicats, avec un même rendez-vous, et au même endroit, décrit le chercheur Karel Yon. Puis, il faut une actualité politique qui favorise une appropriation large de ce moment, comme une réforme mobilisatrice, ou un entre-deux-tours d’élection présidentielle. »
Si l’union fait la force, un front syndical rassemblé conduit à de plus grandes mobilisations qu’un appel en ordre dispersé. « Généralement, les organisations syndicales ont leurs propres revendications, et cela produit des manifestations à quelques centaines de milliers de personnes, rappelle le chercheur. Et parfois, il y a des grosses journées avec un à deux millions de personnes, notamment les manifestations de 2002, 2009 et 2023, qui ont comme particularité d’être appelées par une intersyndicale unanime. »
En 2002, la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, une première, provoque un large sursaut dans la population. Plus d’1,3 million de Français descendent dans la rue. Quant à la manifestation intersyndicale du 1er-Mai 2009, « elle s’inscrit dans une dynamique de mobilisations contre les nombreuses suppressions d’emplois et les fermetures d’entreprises liées à la crise économique et financière de 2008 », rappelle le chercheur. En 2023, les larges défilés du 1er-Mai s’inscrivent « dans la succession de manifestations du premier semestre », contre la réforme des retraites du gouvernement d’Élisabeth Borne.
Un entre-deux-tours à haut potentiel de mobilisation
Autre contexte politique, avec les manifestations du 1er-Mai 2012. Elles prennent place dans l’entre-deux-tours de la présidentielle qui oppose François Hollande au président sortant Nicolas Sarkozy. « Rappelez-vous que Nicolas Sarkozy avait fait une campagne très ouvertement antisyndicale quand il avait été élu. En 2012, pour la première fois depuis longtemps, les syndicats, comme Bernard Thibault de la CGT, appellent à battre Nicolas Sarkozy, alors que les années précédentes, les syndicats évitaient de donner des consignes de vote autre que leur opposition à l’extrême droite », note le spécialiste du syndicalisme. Quant à 2019, la manifestation s’inscrit dans la mobilisation des « gilets jaunes » qui défilent contre la vie chère et, plus largement, contre les taxes perçues comme visant les classes populaires.
Un « cru » moyen en 2025
Quant au « cru » 2025, le spécialiste de l’action collective prédit une mobilisation moyenne, bien que le dossier des retraites soit politiquement explosif. « Seule une partie des organisations syndicales participent encore au conclave convoqué par le Premier ministre, dans le cadre d’un dialogue à froid qui n’est pas du tout articulé avec des formes de mobilisation sur le terrain, estime-t-il. Il est donc peu probable que le 1er-Mai 2025 soit à la hauteur de 2023 ».
Une mobilisation moyenne, cette année, qui s’inscrit dans un contexte historique long. Le taux de syndicalisation, aujourd’hui stable, « reste à un étiage assez bas, autour de 10 % à l’échelle globale. Cela fait des forces militantes moins importantes que lorsque vous aviez entre 25 % et 40 % des syndiqués à la Libération », rappelle le chargé de recherches au CNRS.
Et puis, le rapport entre les manifestants et les forces de l’ordre a changé ces dernières années. La doctrine du maintien de l’ordre est plus répressive vis-à-vis des manifestants. Selon le chercheur, « il y a tout un tas de gens qui allaient de manière insouciante à la manifester, avec les enfants en poussette, y réfléchissent aujourd’hui à deux fois, de crainte d’être gazés ou coincés dans des nasses pendant des heures. Et cela exacerbe, du côté des manifestants, les petites minorités qui ont envie d’en découdre ». Réponses sur l’importance de la mobilisation de cette année à la fin de la journée.