Donald Trump l’avait promis. Pour restaurer la grandeur de l’Amérique (Make America Great Again), il allait déclencher une guerre commerciale avec le monde entier dans l’objectif de vaincre ses adversaires (appelés autrefois partenaires économiques) et surtout la Chine.
Cette offensive s’est matérialisée par une hausse tous azimuts autant que vertigineuse des droits de douane. Les déclarations trumpiennes ont obéi aux vicissitudes dont il a désormais le secret au point que chaque semaine, sinon chaque journée, voit son flot d’annonces de taxations ou de reports.
Le moins que l’on puisse dire est que la stabilité juridique pourtant essentielle en matière de droits de douane pour rassurer les milieux d’affaires et promouvoir les programmes d’investissements est mise à néant. Apple, pourtant fleuron de la bannière étoilée que tous les présidents américains ont choyée comme leur enfant prodige, a succombé à l’affolement en rapatriant des avions chargés d’Iphone avant que les taxes n’entraînent une flambée de son prix.
L’influence de la pensée de David Ricardo qui avait présidé depuis le 18e siècle à l’essor de la mondialisation s’est vue ruinée le temps d’un paraphe trumpien. L’économiste britannique avait pourtant convaincu de considérer les spécificités de chaque zone économique afin que chacune puisse profiter de ses ressources et savoir-faire pour proposer à ses voisins des productions qu’elle était en mesure de fabriquer de manière optimale. L’Asie était devenue l’atelier du monde au plus grand bonheur, jusqu’alors, des consommateurs occidentaux.
Exit Ricardo, il faut désormais que les États-Unis soient totalement auto-suffisants dans la limite naturelle de la richesse de ses sols parfois vides de matières premières spécifiques.
Si la Chine est visée, l’Union européenne et naturellement la France ne sont pas en reste. Les vins, les produits agricoles, les produits de luxe… se voient menacés d’un surcout douanier mettant clairement en péril leur attractivité et, partant, la survie des industries qui les produisent.
L’Union européenne n’a donc pas tardé à réagir en menaçant de taxes similaires à celles nous frappant, sorte de taxes miroirs censées être dissuasives.
L’engrenage est irrémédiable et les conséquences néfastes prévisibles. Malheureusement le désastre semble inévitable sauf à ne pas réagir, ce qui serait clairement incompréhensible politiquement et commercialement délétère. Ce n’est pas en refusant une guerre qu’on la gagne.
Une autre solution est pourtant nécessaire : signer un accord de libre-échange.
Il faut reconnaître que le propos ne manque pas d’audace quand l’on se rappelle les débats enflammés qui entourèrent les discussions autour du célèbre TTIP il y a une dizaine d’années. Protectionnistes de tous horizons, extrême gauche et écologistes en tête s’étaient lancés dans une campagne de dénigrement jamais vue. L’énoncé d’un projet d’accord commercial international signé avec les États-Unis réunissait dans une seule phrase l’ensemble des tabous horrifiant les altermondialistes adeptes de la décroissance et de lectures philosophiques béates au sommet d’une montagne isolée.
Raviver l’idée d’un accord de libre-échange avec Donald Trump ne manquerait pas de susciter de nombreux cris d’orfraie tant le personnage se montre souvent assez urticant.
C’est pourtant une nécessité, nécessité d’autant plus criante qu’elle est la seule solution favorisant une désescalade et la sortie de la guerre commerciale. C’est surtout l’objectif affiché de l’administration américaine qui n’a déclenché cette tornade que dans le but de structurer un commerce international nouveau. Le Secrétaire américain au trésor, Scott Bessent, qui répondait à une question portant sur les tumultes provoqués par les annonces tarifaires en a justifié la mécanique en affirmant qu’il ne s’agissait que d’un moyen de créer une « incertitude stratégique » afin de donner l’avantage aux États-Unis. Dans la théorie des jeux, énonce-t-il, on parle d’incertitude stratégique, c’est-à-dire que vous n’allez pas dire à la personne de l’autre côté de la négociation où vous voulez finir.
En clair, les États-Unis ont ouvert une négociation commerciale mondiale qu’il serait opportun de conclure, s’agissant de l’Union européenne, par un accord tarifaire le plus global possible.
Si nul n’ignore que cette négociation relève des compétences réservées de l’Union, il serait naïf pour la France de ne pas chercher à jouer un rôle de leader. Reconnaissons, sans tomber dans le Bruxelles bashing, que le fonctionnement de l’Union relève davantage d’une question bureaucratique que politique. Or, les bureaucrates ne réfléchissent souvent qu’en termes de fichiers Excel quand les politiques, à tout le moins certains, pensent en termes de visions de plus ou moins long terme. C’est précisément d’une vision libérale dont nos entreprises ont besoin en ces temps protectionnistes.
Dans cette époque troublée, il semble plus utile de ne pas s’arrêter aux commentaires du quotidien sachant que chaque jour apporte le démenti de la veille pour se tourner vers des objectifs lointains. Il serait donc utile que certains diplomates français prennent la peine de contacter leurs homologues américains aux fins de mettre sur la table le projet d’un accord de libre-échange. Il pourrait être débuté par le constat que l’Union, et la France ont besoin du gaz et du pétrole américain bien utiles depuis le tarissement (relatif) du robinet russe et qu’en contrepartie, nous avons besoin d’exporter ce qui fait la France, les produits agricoles et le luxe.
(*) Hervé Guyader, Avocat, Docteur en droit, Président du comité français pour le droit du commerce international, responsable de la commission commerce international du barreau de Paris, expert auprès du Conseil des barreaux européens.