Lors de sa campagne, Donald Trump s’était présenté comme l’homme providentiel qui viendrait à bout de tous les maux des classes moyennes américaines. En novembre 2024, le résultat du scrutin l’a porté à nouveau à la Présidence des États-Unis avec un score bien loin devant sa rivale Kamala Harris qui n’a pas su marquer son empreinte. Depuis le 20 janvier dernier, Trump est de nouveau aux affaires et beaucoup se demandent déjà s’il n’a pas un peu trop mélangé fiction et réalité, en endormant les foules en leur promettant monts et merveilles. C’est peut-être en réalité le lot quotidien des hommes politiques d’aujourd’hui, pour tenter de réenchanter la fonction.
Entre promesses et réalités…
Certains parviennent à transformer leurs rêves en réalité. Qu’en est-il du 47e président des États-Unis après 100 jours au pouvoir ? Les sondages récents montrent, même ceux venant de Fox News peu suspecté d’être un média au service de l’opposition démocrate, que sa cote de popularité s’est érodée depuis trois mois. N’est-ce tout simplement pas inévitable ? Il est vrai qu’à ce jour, nombre de chantiers ont été lancés, exactement ceux dont Trump avait parlé et martelé dans les médias, mais peu ont pour le moment vu des résultats concluants. Force est de lui reconnaître ses obsessions et l’application de son programme. Il faut du temps pour imprimer une politique, et parfois le chemin est long et tortueux avant de marquer des points et voir les fruits d’une stratégie aussi choc que celle qu’a choisi le milliardaire. Évidemment, ses références au 25e Président américain Mc Kinley, qui avait fait du protectionnisme et des taxes douanières son cheval de bataille ne sont pas les meilleures, car le pays avait plongé tout droit dans la récession et Mc Kinley avait regretté d’avoir été trop loin. Trump fonctionne à géométrie variable et n’a aucun problème à amortir ses décisions selon les conséquences immédiates : ce fut le cas il y a quelques semaines avec la plongée de la Bourse et ses annonces choc en matière économique. Il est pragmatique et sait s’adapter, quitte à changer totalement de braquet. Depuis l’annonce de la pause, le marché est au beau fixe.
Il est plus facile de mener une politique dans la continuité que de changer radicalement de cap, et donc encore plus difficile de tirer un bilan d’étape après si peu de temps. On peut faire des projections et un peu de prospective, en tirant des leçons du passé, mais guère plus. Une autre force du 47e Président Trump est qu’il ne se soucie pas de l’image qu’il donne à l’international et se soucie encore moins des répercussions de sa politique, dont il considère qu’elle doit en premier lieu servir les Américains. L’un de ses premiers succès a été de faire comprendre au monde que les États-Unis ne sont plus la Banque mondiale, que la planète ne peut plus dépendre de l’Amérique, sur le plan économique comme sécuritaire ou humanitaire. En effet, à long terme, le gendarme du monde, qu’il a été jusque maintenant, peut bien décider de ne plus vouloir jouer ce rôle et de sabrer dans les dépenses pharaoniques qui lui incombaient. Dans un effort qui devrait être davantage collégial, certains Occidentaux ne se sont-ils pas un peu trop reposé sur leurs lauriers, que ce soit le travail fait par les agences américaines pour les réfugiés, la lutte contre le sida et de nombreuses autres maladies, la faim dans le monde, le soutien aux régimes en cours de démocratisation, et tant d’autres causes ? Évidemment, les conséquences immédiates sont désastreuses, et comme la nature a horreur du vide, d’autres pays moins proches de nous prendront le relais stratégique et surtout un rôle de relais d’influence, la Chine par exemple ou certains pays du Golfe.
Dans un monde aussi imbriqué, et Trump le « protectionniste » semble bien le regretter, les dommages collatéraux sont le moindre de ses soucis. C’est cela qui nous interroge et devrait nous réjouir : une chance pour nous d’enfin être autonomes, sur le plan économique et de la défense. Au lieu de cela, les Européens se morfondent alors qu’il y a urgence à se réindustrialiser, trouver de nouveaux partenaires économiques pour diversifier nos sources et réduire le risque comme c’est le cas aujourd’hui avec les Américains, et enfin proposer un vrai chantier de la sécurité commune pour l’Union européenne. Une politique se marque à la trace et aux résultats escomptés. Il faut commencer par être volontariste.
Trump a vendu depuis le début le retour de la puissance américaine sur la scène internationale. C’est son premier succès et de loin et il est symbolique : alors que l’on parlait depuis des mois, voire des années, de déclin de l’Occident, on a pris conscience à quel point face à la désoccidentalisation du monde, l’Amérique pouvait frapper fort ses ennemis sur le plan économique par des sanctions ou par des tarifs douaniers prohibitifs. C’est dû avant tout à son statut de première puissance mondiale qui en fait un pays encore actuellement incontournable. À ce stade-là, il ne serait pas improbable que Trump ait voulu mettre tous ses alliés/vassaux au pas, derrière lui bien sûr, pour constituer un bloc occidental plus uni et plus fort face au reste du monde. Il est difficile à ce stade de savoir à quel point les Alliés américains seront impactés par les mesures américaines ou iront voir ailleurs, notamment vers la Chine. L’Europe après la douche froide américaine et les sanctions contre la Russie réfléchit désormais à deux fois avant de freiner ses échanges avec Pékin.
Plusieurs dossiers importants sont en cours et qui, une fois réglés à la mode Trump, pourraient se révéler fructueux avant tout pour les Américains. Une fois encore, si les effets sont négatifs sur les Occidentaux ou le reste du monde, lui n’y verra rien de « négatif » en soi dans ses choix et sa stratégie parfois difficile à suivre, pourvu que les Américains en sortent grandis. C’est à la place des Américains qui espèrent qu’il faut se mettre.
Sécurité, immigration… et économie : les obsessions de Trump
Les questions de la sécurité intérieure et de l’immigration sont deux chevaux de bataille majeurs de l’actuel Président, accusant les démocrates de trop de laxisme et d’excès pendant les quatre dernières années. Dès son retour au pouvoir en janvier 2025, Donald Trump a engagé un resserrement drastique de la politique migratoire. Il a suspendu l’asile à la frontière sud et déployé l’armée en soutien aux gardes-frontières, mettant fin à la politique de « catch and release » de l’administration précédente. Ces mesures ont produit une chute spectaculaire des passages clandestins, ce qu’attendaient les électeurs de Trump : en février 2025, les arrestations à la frontière ont atteint un plus bas historique d’environ 8 300 (soit -94 % par rapport à février 2024). Parallèlement, les expulsions de criminels étrangers se sont intensifiées, et presque aucun migrant intercepté n’a été relâché sur le territoire américain depuis janvier. Cette fermeté à la frontière est largement saluée par l’opinion : 55 % des Américains approuvent l’action de Trump en matière de sécurité frontalière.
En outre, Trump a obtenu rapidement un soutien législatif sur la question migratoire. Il a promulgué le Laken Riley Act dès le 29 janvier 2025, du nom d’une étudiante victime d’un meurtre commis par un immigré clandestin en 2024. Cette loi, première de son mandat, oblige dorénavant l’ICE à détenir tout étranger en situation illégale, arrêté pour vol ou ayant agressé un policier, afin d’éviter les récidives. Trump a également ordonné dans la foulée l’agrandissement du centre de rétention de Guantánamo pour y transférer davantage de migrants en attente d’expulsion. Malgré les annonces, il ne sera pas opérationnel à grande échelle et le Salvador offre des tarifs bien plus intéressants. Ces actions musclées et visibles dès les premières semaines ont démontré la volonté du président de tenir ses promesses en matière de sécurité.
Sur le plan économique, les premiers mois de 2025 affichent un net rebond de la confiance des entreprises et de l’emploi. La Maison-Blanche a souligné des créations d’emplois bien supérieures aux prévisions en mars 2025 : +228 000 emplois ce mois-là, soit près de 100 000 de plus qu’anticipé, un des meilleurs chiffres mensuels des deux dernières années. Sur l’ensemble du premier trimestre, le rythme de l’embauche privée a doublé par rapport au début d’année, signe que le marché du travail « revient en force » selon l’administration. Le taux de chômage reste bas (autour de 4 %) et l’inflation tend à se modérer graduellement. Trump a aussi multiplié les initiatives pro-industrie et l’investissement intérieur. Il a instauré de nouveaux tarifs douaniers (25 % sur l’acier/aluminium et 135 % sur les importations chinoises !!) pour inciter à la relocalisation de la production. Dans la foulée, plusieurs entreprises ont annoncé des projets d’investissement massifs aux États-Unis, l’effet immédiat bénéfique de taxer les produits importés de l’étranger. Apple a ainsi dévoilé un plan de 500 milliards de dollars sur quatre ans, incluant la construction d’une grande usine de serveurs au Texas et la création de 20 000 emplois en recherche et développement. Apple commence d’ailleurs à vouloir produire davantage en Inde qu’en Chine désormais. De même, l’Arabie Saoudite a fait savoir qu’elle comptait investir 600 milliards de dollars aux É.-U. sur quatre ans pour profiter du climat économique favorable. Ce n’est pas pour rien qu’une visite prochaine de Donald Trump aura lieu à Riyad, mais aussi à Abu Dhabi et Doha dans la foulée. D’autres industriels ont annoncé l’extension de leurs activités américaines — par exemple Stellantis qui va produire un nouveau modèle de SUV dans le Michigan et rouvrir une usine dans l’Illinois, ou encore Mercedes-Benz qui promet d’augmenter sa production aux États-Unis. Ces annonces témoignent en partie d’un retour de confiance des acteurs économiques, Trump se félicitant d’observer un « afflux d’emplois » dans le pays grâce à sa politique commerciale incitative.
En matière budgétaire, le président a lancé une offensive pour réduire les dépenses fédérales jugées inutiles. Il a créé un Département spécial d’efficacité gouvernementale (surnommé DOGE) confié à Elon Musk, chargé d’auditer chaque agence fédérale. Pendant quatre mois, Musk a coupé dans le vif, même s’il prend ses distances dorénavant et est déjà en train de retourner à ses affaires chez Tesla. Dès février, Musk et son équipe ont identifié des gaspillages qu’ils qualifiaient de surprenants dans les fonds publics. Ce programme de chasse au gaspillage s’est traduit par des milliers de suppressions de postes de fonctionnaires en période d’essai et par la promesse de réaffecter ces ressources à des usages plus utiles selon eux. Bien que contestée par l’opposition (plus de 100 procès ont été intentés contre ces décrets en série), cette démarche de « dégraissage » est populaire auprès de nombreux contribuables soucieux de l’efficacité de l’État, à commencer majoritairement par les supporters MAGA. Il n’y a pas de redynamisation d’un pays sans coupe drastique dans les dépenses publiques, quelles qu’elles soient. Sur le long terme, cela risque d’avoir des conséquences terribles, y compris sur les Américains.
Relations internationales et diplomatie
Sur la scène internationale, Trump affiche également quelques succès notables au cours de son premier trimestre. L’administration a obtenu la libération de nombreux Américains détenus à l’étranger (dans des pays avec lesquels les États-Unis ont de très mauvaises relations), grâce à une diplomatie active. Au moins 26 otages ou prisonniers américains ont recouvré la liberté entre janvier et avril 2025. Parmi eux, on compte notamment un enseignant emprisonné en Russie depuis plus de trois ans (relâché lors d’un échange de prisonniers fin février), une Américaine détenue en Biélorussie pour des raisons politiques, ainsi que deux otages détenus par les talibans en Afghanistan — libérés en échange d’un prisonnier afghan dans le cadre d’un accord négocié mi-janvier. S’y ajoutent six citoyens américains retenus au Venezuela, que l’émissaire spécial Richard Grenell a ramenés au pays après une mission auprès du président Nicolàs Maduro fin janvier.
Trump a aussi marqué des points dans la lutte contre le terrorisme. En mars, il a annoncé l’arrestation du cerveau de l’attentat d’Abbey Gate (une attaque qui avait tué 13 militaires américains lors du retrait d’Afghanistan en 2021). Le responsable de cet attentat a été capturé à l’étranger et extradé vers les États-Unis pour y être jugé, ce qui a été présenté comme une victoire symbolique rétablissant le principe de justice pour les victimes. Par ailleurs, bien que les conflits mondiaux restent complexes, Trump a multiplié les entretiens avec des dirigeants étrangers dès ses premières semaines au pouvoir. Il a reçu à la Maison-Blanche des alliés majeurs (le Premier ministre britannique Keir Starmer, le président français Emmanuel Macron, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, entre autres) et s’est entretenu avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky fin février. Sa volonté affichée de « rétablir la paix par la force » et de renégocier les engagements internationaux de l’Amérique s’est traduite, par exemple, par son soutien à un cessez-le-feu durable au Moyen-Orient. Son équipe de transition a contribué à l’arrêt des hostilités entre Israël et le Hamas dès fin 2024, et début 2025 il s’est proposé de jouer un rôle de premier plan dans la reconstruction de Gaza pour empêcher le retour du terrorisme, même si le processus en cours est plus que chaotique. Le projet de « riviera » à Gaza et le transfert des 2 millions de Gazaouis en dehors du territoire a choqué au-delà des frontières mêmes de la région.
Les négociations ouvertes avec l’Iran témoignent aussi de la volonté de Trump d’en finir avec ces fameux « conflits sans fin » qu’il a tant décrié pendant la campagne. S’il parvenait à un accord et à un retour de l’Iran au cœur du concert des nations, tout comme un affaiblissement du régime des mollahs (voire de sa disparition), ce serait après l’effondrement de l’arc chiite régional, ce serait une révolution totale pour le Moyen-Orient et pour Israël. Mais il faudrait un accord solide et ferme à l’égard de Téhéran pour être crédible. Qui à part les États-Unis à la capacité d’y parvenir et en même temps d’offrir les meilleures garanties de sécurité à l’État hébreu ?
Si rien de concret à ce stade n’est clair, que ce soit sur le dossier russo-ukrainien, qu’israélo-palestinien, ou américano-iranien, les dossiers sont sur la table et sont devenus la préoccupation quotidienne de la Maison-Blanche (tant que Trump ne se lasse pas) pour espérer ensuite se concentrer sur leurs propres urgences. Pour autant, l’image qui a tant collé à la peau de Trump, sur son amitié si avec Poutine ou avec Netanyahou, devant la difficulté des conflits à résoudre, prouve bien que ce n’est pas tant la réalité que cela, à son corps défendant. Le Président russe comme le Premier ministre israélien ont donné bien du fil à retordre à la Maison-Blanche, ce qui a eu l’avantage énorme de montrer aussi que Trump n’était pas prêt à tout concéder à ses soi-disant amis, justement au prétexte que ce serait avant tout ses amis.
En somme, Donald Trump considérera toujours que sa politique est un véritable succès, même si les Occidentaux sont globalement très critiques. Ils ont eu le sentiment d’être trahis. Mais il a imprimé un rythme soutenu durant ses cent premiers jours en 2025, en tenant surtout plusieurs promesses phares de sa campagne. De la sécurisation de la frontière mexicaine (avec des résultats chiffrés sans précédent) au redémarrage de l’économie américaine via le patriotisme industriel, en passant par des coups d’éclat diplomatiques pour rapatrier des Américains et affirmer la puissance des États-Unis, ces premiers mois ont été marqués par une série d’actions populaires auprès de sa base et parfois saluées plus largement. Avec 89 décrets signés en 50 jours, le 47e président a démontré sa détermination à « tenir parole » rapidement tout en posant les bases de ce qu’il décrit comme une nouvelle « ère de succès » et « d’âge d’or » pour l’Amérique. Les prochains mois diront dans quelle mesure ces impulsions initiales se traduiront par des bénéfices durables, et l’enjeu des élections de mi-mandat seront déterminantes pour la poursuite ou non de sa politique, et la confiance que les Américains auront encore en lui en 2026. On estime de toute façon sa base indécrottable à un socle de 20 à 40 % des Américains.
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(*) Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales à l’IHECS (Bruxelles), associé au CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense), à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée (IEGA Paris), au NORDIC CENTER FOR CONFLICT TRANSFORMATION (NCCT Stockholm) et à l’Observatoire Géostratégique de Genève (Suisse).