
« On l’a retrouvé en une semaine ! » Aqababe célèbre sa victoire sur son canal Instagram baptisé « Retrouvons XDDL ». L’influenceur au plus d’un million d’abonnés affirme avoir retrouvé la trace de Xavier Dupont de Ligonnès en Asie, quatorze ans après la découverte des corps de sa femme et de leurs enfants dans leur maison nantaise, en 2011. Mais le parquet de Nantes, en charge de l’enquête, dément.
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**Le procureur de Nantes voyait déjà d’un mauvais œil la chasse à l’homme lancée sur internet par l’influenceur le 18 avril. Selon RTL, quelques jours plus tard, Antoine Leroy se montrait agacé car ce type d’initiative était chronophage pour la justice, les enquêteurs amateurs fournissant beaucoup de fausses pistes que les réels enquêteurs doivent vérifier et qui leur font perdre du temps.
La réponse d’une IA prise pour argent comptant
L’agacement est monté d’un cran après l’annonce d’Aqababe disant qu’il l’avait retrouvé et qu’il avait fourni tous les éléments de preuves qu’il avait trouvés à la justice. Le 27 avril, l’influenceur a affirmé dans un communiqué avoir découvert « des informations précises, tangibles et nouvelles » qui « pourraient permettre de clôturer ce dossier ». Pour preuve, il publie une photo d’un homme qui lui ressemble. Selon Libération, il aurait demandé à une IA conversationnelle si les deux hommes se ressemblaient, prenant sa réponse pour argent comptant.
Lundi 28 avril, le procureur de Nantes a tout démenti dans un communiqué. « Depuis le 18 mars 2025, circulent, dans les médias et sur les réseaux sociaux, un certain nombre d’informations selon lesquelles Xavier Dupont de Ligonnès aurait été localisé », écrit le procureur. Or, « contrairement à ce qui peut être indiqué à cette occasion, à ce jour, aucun élément factuel et vérifiable n’a été porté à la connaissance de la juridiction nantaise, pas plus qu’aux services de police saisis, par qui que ce soit, et pouvant attester de la réalité de ces informations ». Après le communiqué du parquet, Aqababe a affirmé qu’il allait bientôt transmettre les éléments à la justice. « Et s’il est agacé, qu’il s’agace. »
Des enquêtes amatrices en ligne assez répandues
Dans son communiqué, Aqababe dit aussi avoir créé « une méthode [d’enquête] parfaitement inédite en France reposant sur le partage gratuit d’informations ». Mais là aussi, c’est faux. C’est loin d’être la première fois que des internautes enquêtent et partagent gratuitement des « informations » sur des affaires judiciaires. La pratique est connue dans tout l’Occident, les Anglosaxons appellent ces enquêteurs amateurs des « websleuths », des « web détectives ».
Et c’est encore moins une première fois sur cette affaire-là. Le premier groupe Facebook d’enquêteurs amateurs consacré à l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès a été créé seulement quelques jours après la découverte des corps de sa famille. À l’époque, la création de ce groupe était une première. Par ailleurs, les enquêteurs français ont souvent, voire toujours recours aux témoignages d’anonymes pour avancer dans leur enquête.
Ce qui peut être concédé à Aqababe, c’est que l’ampleur de la mobilisation de ses abonnés semble assez inédite dans le paysage numérique français. L’influenceur a réussi à rassembler plus de 380 000 personnes dans un canal de discussion Instagram consacré à l’affaire, alors que les groupes Facebook d’enquêteurs amateurs, même les plus anciens, comptent 20 000 membres au maximum.
Quelques pistes sérieuses
Tous ces enquêteurs amateurs ont parfois de bonnes pistes, en effet, même si cela reste rare. Certains internautes se sont spécialisés notamment dans le fait de piéger des pédocriminels en ligne pour ensuite les livrer aux autorités.
L’une des affaires judiciaires les plus emblématiques de l’aide que peuvent apporter les internautes aux enquêteurs est l’affaire Luka Rocco Magnota, surnommé le « dépeceur de Montréal ». En mai 2012, il s’est filmé en train de tuer et démembrer son amant et a diffusé les images sur internet avant de s’enfuir du Canada. Mais l’homme avait déjà été repéré par des enquêteurs amateurs sur les réseaux car il avait auparavant posté des vidéos de lui torturant des chats. Ces internautes avaient déjà commencé à le rechercher quand il a commis le meurtre. Ils ont donc ensuite voulu aider les autorités à le retrouver et les ont aidées à connaître ses allées-et-venues ainsi qu’à retrouver les différentes identités qu’il utilisait, ce qui a conduit à son interpellation en Allemagne.
Mais surtout des fausses pistes et de faux coupables
Mais les enquêteurs amateurs restent principalement connus pour leurs dérives. Ils peuvent complexifier le travail des enquêteurs, en créant de fausses pistes, comme le déplore le procureur de Nantes. Mais ils peuvent aussi créer de faux coupables, comme cela a été le cas en Angleterre lors de la disparition d’une femme, Nicola Bulley, en janvier 2023. Brut raconte que, alors que la police affirmait qu’elle était tombée dans une rivière, des internautes et enquêteurs amateurs ont accusé son conjoint de l’avoir tué et sa famille de le couvrir. Le corps de la femme a finalement été retrouvé dans la rivière quelques semaines plus tard.
Certains enquêteurs amateurs, frustrés de voir leurs théories démenties, lancent des théories du complot. Et cela semble être le cas pour certains abonnés d’Aqababe qui pensent que l’influenceur est censuré et que les autorités empêchent l’enquête d’avancer. Une position victimaire dans laquelle l’influenceur se met d’ailleurs volontiers dans plusieurs messages, qui a l’avantage de décrédibiliser toute parole qui dirait qu’il n’a aucun élément tangible ni qu’il s’est simplement trompé.