
Un ami à moi a récemment acheté un appartement neuf dans un quartier lyonnais tranquille, pas particulièrement huppé, bref, normal. Sa copropriété a été convoquée par le conseil syndical (des habitants délégués) en avril pour décider de l’installation de la vidéosurveillance dans les parties communes : des ados avaient vidé un extincteur d’incendie. Parmi la quarantaine de personnes présentes à l’assemblée, il a été le seul à s’opposer explicitement à la mesure.
L’installation du dispositif a été votée à l’écrasante majorité. Elle va coûter environ 15 000 euros. ça fait cher l’extincteur… « Aujourd’hui, c’est un extincteur, mais demain, qui te dit que tu ne vas pas te faire agresser dans le hall ? » Voilà ce que lui a répondu un de ses voisins. « Strasbourg-l’Ukraine, c’est à peu près 1 500 kilomètres, ce n’est pas très loin. » Là, ce n’est pas le voisin, c’est le président de la République sur les réseaux sociaux le 20 février dernier. Façon de dire qu’« aujourd’hui c’est l’Ukraine, mais demain, qui te dit que Poutine ne va pas envahir la France ? »
Sur le site du ministère de la Défense, on lit que « l’industrie de défense française est entrée depuis plusieurs mois en “économie de guerre”. Alors que le gouvernement taille de toutes parts dans les budgets, l’augmentation faramineuse de celui de la Défense, elle, ne se discute pas. Pour défendre son point de vue, mon ami n’a pas fait de grand discours sur les libertés publiques. Il a parlé portefeuille et efficacité. « Toutes les études, y compris internationales, s’accordent sur le fait que la vidéosurveillance ne dissuade pas, rappelle Guillaume Gormand, enseignant-chercheur à Sciences Po Grenoble (1). À la limite, elle peut provoquer un déplacement de la délinquance, non sur le plan géographique mais sur celui de la méthode. » Bref, les ados, au sous-sol, mettront une cagoule.
Quant au loup caché sous le lit, ce fameux agresseur potentiel qui t’attend dans un coin du hall … Que la menace soit réelle ou pas, en quoi la course aux armements nous protège ? N’y aurait-il pas d’autres méthodes plus efficaces ? C’est la question que pose notre interlocuteur en p.20. Quant à mon ami : « Je me suis rendu compte que mes voisins vivaient dans un cauchemar. » Rappelons que selon les derniers chiffres du ministère de l’Intérieur, les cambriolages ainsi que les destructions et dégradations volontaires, diminuent de 2 % par an depuis (au moins) 2016. Et que nous avons la chance de vivre en paix.
Fabien Ginisty
1- Guillaume Gormand, chercheur : « Aujourd’hui, la plupart des systèmes de vidéosurveillance en France ne sont pas exploités », Le Monde, 2 janvier 2024.