Énergies renouvelables : Bayrou se couche devant le RN

Assemblée nationale, Paris, reportage

Devant un hémicycle quasi désert, le Premier ministre François Bayrou a multiplié, le 28 avril, les précautions oratoires pour cajoler les députés du Rassemblement national (RN). « Je veux assurer chacun des intervenants que son avis sera pris en compte », a dit le Premier ministre en introduisant quatre heures de discussion sur l’énergie.

Ce débat était organisé à l’Assemblée nationale, sans vote ni autre enjeu que de donner satisfaction à l’extrême droite. Le RN espère se relancer politiquement avec une offensive contre les éoliennes et les panneaux solaires, et une cible de choix : la programmation pluriannuelle de l’énergie 2025-2035 (PPE), une feuille de route qui doit permettre à la France de diminuer la part des énergies fossiles dans la consommation énergétique de 60 % aujourd’hui à 30 % en 2035.

Faute de majorité, le gouvernement de l’époque a échoué à faire adopter ce plan avant janvier 2023, date prévue par la loi. Après deux ans d’atermoiements, il comptait s’en sortir avec des décrets, mais la menace d’une censure du RN vient de l’obliger à battre en retraite.

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Les décrets seront publiés « d’ici à la fin de l’été », a annoncé François Bayrou. Après l’organisation d’un second débat au Sénat, le 6 mai, la nomination d’un nouveau « groupe de travail » [1] et l’examen à l’Assemblée d’une proposition de loi des Républicains, dite « Gremillet », très favorable au nucléaire, mi-juin. D’ici là, les lignes peuvent bouger, assure le gouvernement.

Le RN obtient satisfaction sur toutes ses revendications et dicte son agenda à l’exécutif. Il enregistre aussi des victoires conjoncturelles contre les énergies renouvelables. Les aides au petit photovoltaïque viennent d’être drastiquement baissées et les objectifs de développement du solaire, qui étaient relativement élevés dans la première version de la PPE mise en consultation en octobre 2024, ont été revus à la baisse.

Pourquoi ce renoncement ? Parce que la consommation d’électricité, en France, a reculé de 6,5 % entre 2017 et 2024. La flambée des prix a entraîné une sobriété subie et l’électrification des voitures individuelles est beaucoup plus lente qu’espérée. Constat d’échec, car l’objectif de neutralité carbone passe par une électrification massive de l’économie, en particulier dans le secteur des transports.

Le 28 avril, François Bayrou a préparé les esprits à un nouveau renoncement, en glissant qu’il « tiendr[a] particulièrement compte de l’avis de l’Académie des sciences ». Cette assemblée de scientifiques s’est montrée très pessimiste, le 8 avril, en réclamant une baisse des objectifs d’énergies renouvelables, estimant que « l’électrification des usages paraît peu probable ». Freiner la production serait selon elle la seule solution pour éviter une surproduction d’électricité qui menacerait l’équilibre du système, ce que contestent de nombreuses voix.

Le RN triomphe

Renforcée par ce contexte, Marine Le Pen a tenu un discours offensif, contre le « dogmatisme aveugle » de ses « collègues du parti unique », défenseurs de la transition énergétique, qu’elle accuse d’être à l’origine de la hausse des factures d’électricité. Devant la cinquantaine de députés présents, elle a vendu le « paradis énergétique » qu’offrirait le tout nucléaire et rejette en bloc la PPE, « qui doit doubler les éoliennes sur terre, recouvrir la France de panneaux solaires chinois et défigurer les côtes avec les éoliennes en mer ».

Une vision qui « ressemble plus à un cauchemar d’enfant »

Pendant les débats, son lieutenant Jean-Philippe Tanguy, Monsieur Énergie du RN, campait en salle des Quatre colonnes, frétillant de plaisir, pour savourer devant la presse « la victoire politique de Marine Le Pen ». Victoire toute personnelle, également, pour celui qui a fait de la précarité énergétique et de la lutte contre les énergies renouvelables un thème central du parti d’extrême droite. « Si la loi finalement adoptée ressemble à cette PPE, nous n’hésiterons pas à censurer le gouvernement », a-t-il dit aux journalistes pour maintenir la pression.

« Le RN est déconnecté de la réalité, commente auprès de Reporterre Bastien Cuq, expert énergie du Réseau Action Climat (RAC). Sa vision des énergies renouvelables ressemble plus à un cauchemar d’enfant qu’à une connaissance sérieuse du sujet. »

Consternation à gauche

À l’autre bout du spectre politique, si les députés n’attendaient rien de ce débat, ils ont quand même été déçus. La PPE, telle qu’elle a été présentée en novembre, « est imparfaite et timorée », mais elle « assurait au moins une lisibilité pour le secteur », a dit à la tribune la députée socialiste Anna Pic.

Le temps perdu dans la publication des décrets dont dépendent les appels d’offres pour la construction d’éoliennes marines, en particulier, est un coup de frein à la transition énergétique. Un mauvais signal de plus, après les coupes budgétaires affectant l’électrification des véhicules et la rénovation énergétique des bâtiments.

« On sent que le gouvernement a le pied sur le frein concernant les énergies renouvelables, a dit le député La France insoumise (LFI) Matthias Tavel au sortir du débat. Il navigue à vue, plus préoccupé par sa survie politique que par l’avenir énergétique du pays. »

Quant à la loi Gremillet, qui doit être votée à l’Assemblée en juin, elle a tout du « piège tendu par les détracteurs des énergies renouvelables », selon Anna Pic.

Le nucléaire : des milliards de questions

Les interventions se sont également multipliées, au centre et à gauche de l’hémicycle, pour pointer le flou en matière de financement du programme de relance nucléaire, susceptible de dépasser les 100 milliards d’euros, selon le président de la Cour des comptes. « Cette dérive tarifaire sera payée in fine par le consommateur », a prévenu le député Liot (centriste) Charles de Courson.

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En plein débat, la présidente LFI de la commission des affaires économiques, Aurélie Trouvé, et Charles de Courson, rapporteur général du budget, se sont présentés devant la presse pour alerter sur la situation du projet d’EPR de Hinkley Point, en Angleterre.

Le 16 avril, ils ont fait valoir leur droit de contrôle parlementaire pour toquer à la porte de l’agence des participations de l’État, au ministère de l’Économie, et demander les textes financiers du chantier. « Il transparaît de ces documents que le programme nucléaire n’est pas finançable. C’est un gouffre pour EDF », a assuré Aurélie Trouvé. Initialement estimé à 18 milliards d’euros, le projet coûterait aujourd’hui 46 milliards de livres sterling (environ 54 milliards d’euros), selon le duo de députés.

Au-delà de cet enjeu financier (et du problème de sûreté), la relance du nucléaire ne produira ses premiers kilowatts qu’à partir de 2038. D’ici là, seules les énergies renouvelables peuvent permettre une hausse de la production d’électricité. Y renoncer reporterait d’une décennie les efforts de décarbonation de l’économie.

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