
Certains répètent souvent que les Français sont les plus taxer au monde. Et voilà une nouvelle proposition qui ne devrait pas les faire bondir : Faire payer aux détenus un forfait journalier de participation aux frais d’incarcération. « Jusqu’à 2003, les détenus participaient aux frais d’incarcération. Comme il y a un forfait hospitalier, il y avait un forfait de présence dans la prison. Je vais rétablir ces frais d’incarcération » a indiqué le ministre de la Justice Gérald Darmanin ce lundi.
Une annonce faite alors qu’une nouvelle proposition (une précédente au moins en 2018) est déjà dans les tuyaux de l’Assemblée nationale, déposée le 11 mars dernier par le député Liot Christophe Nagelen qui, en l’état, prévoit une contribution de « 25 % maximum du coût moyen d’incarcération journalier. ». Avec un coût moyen d’incarcération établi à 105 euros par jour, selon un rapport sénatorial de 2023, et 82.000 détenus, une telle contribution rapporterait environ 750 millions d’euros par an, et coûterait à peu près 800 euros par mois à chaque prisonnier. Voilà pour la partie chiffre et théorie.
Car dans les faits, avant leur incarcération, « la moitié des détenus sont sans-emploi, un tiers en grande précarité et 8 % SDF », relève Mathieu Quinquis, le président de l’OIP (Observatoire internationale des prisons). « La plupart ont déjà du mal à payer leurs frais hors incarcération (comme les pensions ou les crédits) et seulement 30 % des détenus ont accès au travail en prison pour une rémunération de 25 à 45 % du smic, selon la tâche ».
Dix heures de travail par jour pour payer ses frais
Dit ainsi, et avec smic horaire à 9,51 euros net, il faudrait au détenu rémunéré 25 % du smic un peu plus de dix heures de labeur quotidien pour payer sa part. Resterait alors à compléter ce dispositif avec l’obligation de travailler en prison, supprimée en 1987, source de concurrence malsaine sur le marché du travail.
« C’est grotesque, lui-même ne peut pas croire un seul instant à ce qu’il avance », réagit auprès de 20 Minutes l’avocate Elise Arfi qui interrogeait sur X : « A combien la contribution pour un matelas au sol ? », condition de détention de près de 4.000 prisonniers en France, régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour l’état indigne de ses prisons.
« Pour occulter ça, il faut une proposition encore plus outrancière et déplacer le projecteur pour rendre les détenus responsables de ces problèmes », poursuit l’avocate, qui y voit une surenchère d’autoritarisme visant à travailler son image auprès d’un électorat.
Près 1,5 milliard d’euros récupérés en procédure
A vrai dire, l’Etat se paye déjà en un sens lors des procédures judiciaires. C’est le rôle de l’Agrasc (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués) qui en 2023 a procédé à la saisie de 1,44 milliard d’euros en biens, marchandises, numéraires ou encore compte bancaires.
Une somme ou des biens qui servent à indemniser les victimes mais qui équipent matériellement les services de l’Etat et abondent aussi au budget. A titre d’exemple, un yacht saisi dans une affaire de trafic de drogues et de blanchiment d’argent a été vendu aux enchères au profit de l’Etat pour 10 millions d’euros en mars dernier à La Ciotat.
Aussi, l’incarcération coûte vite très cher aux détenus qui reçoivent à leur arrivée un « kit hygiène, des sous-vêtements propres, des draps, une couverture, de la vaisselle, du papier et des crayons », indique « le guide du détenu arrivant » , édité par le ministère. Deux repas et une collation, aux quantités et qualités régulièrement décrites comme insuffisantes, sont distribués chaque jour.
Pour tout le reste, il faut payer : Un téléviseur se loue 14,15 euros par mois et un frigo 7,50 euros par mois. L’accès au téléphone fixe coûte de 70 à 110 euros par mois. La lessive d’un à deux euros, détaille l’OIP. Pour agrémenter leur quotidien, les détenus peuvent aussi cantiner, c’est-à-dire obtenir des produits de consommation courante par le biais d’un prestataire.
Comment prévenir la récidive ?
En 2022, 88,1 % des détenus ont cantiné au moins une fois dans l’année, pour une somme totale de 54 millions d’euros (soit 800 euros par an et par détenu, dont 43 % de celle-ci concernent l’achat de tabac), selon une étude du ministère de la Justice. Mis bout à bout, la détention coûte plus de 200 euros par mois aux détenus, avait calculé un rapport sénatorial de 2002. Si l’on ajoute à cette somme les 750 euros mensuels de contribution prévue dans la proposition de loi et celle avancée par Gérald Darmanin, il faudrait aux détenus dégager presque 1.000 euros par mois. Et cela, sans compter l’indemnisation des victimes.
« La détention coûte super cher pour pas grand-chose », revient Elise Arfi. Une étude du CESE de 2016 et actualisée en 2023, conclut que « 63 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme sont recondamnées dans les cinq ans » et le ministère de la Justice relevait que celle-ci « est toujours moindre après des sanctions non carcérales ».