Affleurements rocheux broyés par les casses-cailloux : 10 000 cartes postales de nouveau envoyées au préfet du Doubs pour l’alerter
10 000 cartes postales représentant des affleurements rocheux du massif jurassien vont être distribuées par un collectif citoyen. Elles seront ensuite envoyées au préfet du Doubs. Une pétition originale pour demander la signature d’un arrêté de protection des habitats naturels. L’objectif : réglementer davantage l’usage du casse-cailloux. « Le casse-cailloux réduit en poudre les affleurements rocheux » : 10 000 cartes postales envoyées au préfet du Doubs pour encore alerter sur la situation
C’est un patrimoine, une icône du massif jurassien : on les appelle les affleurements rocheux. À vu de nez, ce sont des simples cailloux qui dépassent de l’herbe. De plus près, ils représentent la richesse et la diversité d’un patrimoine paysager. Et charrient avec eux des années de lutte pour leur protection.
En effet, les affleurements rocheux sont depuis 2017 au centre d’un combat mené par un collectif de défense de l’environnement. Cette année-là, au printemps, une vidéo montrant l’utilisation d’un casse-cailloux avait ainsi provoqué une vive polémique entre agriculteurs et protecteurs de la nature. Pour ces derniers, les affleurements rocheux étaient de plus en plus détruit par cet outil mécanique utilisé pour broyer les roches et ainsi gagner de l’espace et de la productivité dans les parcelles agricoles.
En juin 2017, 21 universitaires du laboratoire de Chrono-environnement avaient donc tiré la sonnette d’alarme en demandant dans une lettre ouverte au préfet de région de mettre un terme à cet usage du casse-cailloux.
Carte postale du collectif « Pour les paysages du massif jurassien »
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Prochaine étape en novembre 2017, lorsque les amoureux de cette particularité du massif jurassien se constituaient en collectif à l’issue d’une conférence-débat d’Orchamps-Vennes intitulée « Quand nos paysages disparaissent.. Murs, murgets, affleurements rocheux« .
Douze associations et des particuliers s’étaient rassemblés au sein de cette nouvelle structure, nommée « Pour les paysages du massif jurassien ». Des associations aussi différentes que ‘ »Murs et Murgers », le collectif Loue-Lison, ou la société botanique de Franche-Comté.
Deux ans plus tard, en novembre 2019, tous les acteurs de ce dossier se retrouvaient autour d’une table à la préfecture du Doubs pour une conférence de presse. Un compromis avait été trouvé. Désormais, il fallait faire une demande préalable à la Direction des Territoires (DDT) avant toute « destruction d’éléments rocheux« . Un premier pas avant la prochaine mise en place d’un arrêté préfectoral de protection de ces habitats naturels, le temps de réaliser l’inventaire de ces affleurements rocheux dans le Doubs.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, plus de cinq années ont passé et le collectif « Pour les paysages du massif jurassien » est inquiet. L’arrêté de protection des habitats naturels promis en 2019 n’a pas encore été signé. En réaction, les militants ont choisi de distribuer plus de 10 000 cartes postales symboliques pour demander au préfet du Doubs d’enfin signer ce document tant demandé.
La pétition du collectif Pour les Paysages du Massif Jurassien
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On a été patients, on s’est engagé dans le dialogue, mais, tout est remis en question.
Sylvie Pierrot, membre du collectif “Pour les paysages du massif jurassien”
Le collectif redoute que l’engagement du préfet de l’époque, Joël Mathurin, ne soit pas tenu. “Nous, on veut un arrêté” rappelle Sylvie Pierrot.
Mais que s’est-il passé depuis l’annonce d’un accord en 2019 ? Concrètement, l’inventaire a commencé depuis 2023 et va se poursuivre en 2025. « C’est un budget biodiversité d’environ 50 000 euros financé par la DREAL [un service de l’État, NDLR] » précise Benoît Fabbri, directeur de la Direction Départementale des Territoires du Doubs (DDT25).
Dans le détail, ce sont les spécialistes du Conservatoire d’espaces naturels de Franche-Comté et du Conservatoire botanique national de Franche-Comté qui sont missionnés par la DDT du Doubs pour aller sur le terrain et recenser les affleurements rocheux.
Il s’agit d’une étude sur l’ensemble du département. Comme il s’agit une démarche scientifique, les experts identifient également les espèces qui habitent ces rochers pour qualifier l’affleurement rocheux. Ainsi, sur les affleurements, on observe une végétation typique des « pelouses sur dalle » explique Manon Gisbert, responsable de la coordination du projet d’inventaire. Précision importante : les plantes typiques de ces endroits ne sont pas forcément protégées.
Il n’y a pas de moyen actuellement pour protéger les affleurements en tant que tel. Il faut trouver un angle.
Manon Gisbert, Conservatoire des espaces naturels de Franche-Comté
Les équipes des deux conservatoires ont commencé leur travail dans le parc naturel régional du Doubs horloger. Au total, sur les 2 640 hectares prospectés, 1 250 hectares ont été retenus comme pouvant faire l’objet d’un arrêté de protection des habitats naturels.
Les surfaces retenues représentent 1,3 % du territoire couvert par la démarche d’inventaire fin 2024.
Manon Gisbert, Conservatoire des Espaces Naturels de Franche-Comté
Comment procèdent les spécialistes ? Ils commencent leur travail en ciblant, via des photos aériennes, les secteurs où se rendre. Sur place, ils ont constaté que la moitié des surfaces prospectées ne peuvent faire l’objet d’une protection. Les fleurs typiques qui caractérisent ces espaces ne sont pas présentes, les affleurements sont trop petits ou ils ont déjà été détruits.
Les inventaires vont se poursuivre en 2025. L’effort est continu. L’investissement pour protéger les affleurements rocheux est maintenu alors qu’on est en période de contrainte budgétaire.
Benoît Fabbri, directeur de la DDT25
Selon la DDT, « les deux tiers de la superficie du département dont l’altitude est supérieure à 800 m devraient être couverts par l’inventaire d’ici à la fin de l’année 2025. L’entièreté du PNR du Doubs horloger est d’ores et déjà couverte. Nous considérons qu’au rythme actuel, les inventaires devraient être achevés fin 2027, sous réserve de la disponibilité budgétaire correspondante en 2026 et 2027. »
Pour la coordinatrice du projet au conservatoire des espaces naturels, Manon Gisbert,« l’idée n’est pas d’attendre la fin de l’inventaire pour qu’une première version de l’arrêté soit prise ». Pour le conservatoire des espaces naturels de Franche-Comté, prendre un arrêté ne doit pas « mettre une contrainte, mais une manière pour que l’inventaire aboutisse« .
S’il y a encore de l’habitat naturel (comme les affleurements) cela veut dire que les pratiques sont adaptées. Donc, cet arrêté ne serait pas une contrainte supplémentaire.
Manon Gisbert, Conservatoire des Espaces Naturels de Franche-Comté
La prochaine réunion regroupant chaque année tous les acteurs de ce dossier doit avoir lieu avant les vacances d’été. La nécessité de cet arrêté y sera sans doute discutée. Pour le directeur de la DDT25, Benoît Fabbri, la signature par le préfet du Doubs de cet arrêté n’est pas la chose la plus importante dans ce dossier. Pour lui, c’est l’inventaire qui doit être réalisé en priorité.
Tout le monde se focalise sur l’arrêté, mais on n’a pas besoin de cette réglementation pour faire appliquer le code de l’environnement.
Benoît Fabbri, directeur de la DDT25
Selon Benoît Fabbri, ces affleurements rocheux peuvent être protégés par le code de l’environnement en raison de la présence d’espèces protégées. D’où la nécessité de bien connaître la localisation et les espèces végétales de ces affleurements pour savoir ce qu’il y a à protéger.
Mais, souligne Manon Gisbert, certains affleurements rocheux n’abritent pas de flore protégée. C’est le fameux « trou dans la raquette » qui avait incité le préfet de l’époque à préconiser un arrêté de protection des habitats naturels, une fois que l’inventaire serait réalisé.
L’objectif est de protéger. Tout le monde est d’accord y compris la profession agricole. La publication d’un arrêté sera discuté. Une fois qu’on a l’inventaire, l’outil existe.
Benoît Fabbri, directeur de la DDT25
Les agriculteurs sont les principaux utilisateurs du casse-cailloux. Des collectivités peuvent aussi y avoir recours, mais c’est plus rare. Depuis la charte de 2019, les personnes qui veulent enlever des affleurements rocheux doivent faire une déclaration en postant des photos via un guichet unique. Les services de l’État, avec l’avis des conservatoires, rendent leur accord (avec ou sans prescription) ou refuse, mais ce n’est que consultatif.
Pour Florent Dornier, président de la FDSEA du Doubs, la publication d’un arrêté serait « contre productive, on préfère le cas par cas ». L’agriculteur veut poursuivre le dispositif du guichet unique.
On a été les premiers en France à mettre en place un guichet unique et cela marche très bien. Il faut voir d’où on part. On a amené l’ensemble des agriculteurs sur du volontariat, car cela avait du sens.
Florent Dornier, président de la FDSEA25
Pour le collectif « Pour les paysages du massif jurassien », c’est justement ce possible abandon de la publication d’un arrêté qui les mobilise de nouveau. Il y a cinq ans, autocollants et cartes postales avaient déjà circulé dans le Doubs pour mobiliser les défenseurs des paysages si typiques du massif jurassien.
Après de vives tensions, défenseurs de l’environnement et agriculteurs avaient fini par trouver un terrain d’entente sous la houlette des services de l’État. Aujourd’hui, le débat est à nouveau ouvert.