Politique

« Un manque de conscience historique et de tact », le renforcement des contrôles à la frontière entre la France et l’Allemagne ne passe pas

À la suite des premières mesures prises par le nouveau ministre de l’Intérieur allemand, Alexander Dobrindt, une grande vague de contrôles à la frontière avec la France a été entreprise à compter du jeudi 8 mai. De quoi générer de grosses perturbations et agacer les maires de Kehl et Strasbourg.

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Des files de voitures au ralenti. Des trams stoppés. Des TGV à quai. L’Allemagne a opéré un tour de vis des contrôles à sa frontière, ce jeudi 8 mai, et les effets en ont immédiatement été visibles pour les habitants des deux bords du Rhin. « Notre TGV pour Francfort a été stoppé en gare de Kehl [ville frontalière allemande] pour des contrôles », pestait Florence, à bord du train parti de Strasbourg (Bas-Rhin).

En ce jour de commémoration de la fin de la Seconde guerre mondiale en Europe, la police aux frontières a ainsi procédé à une grande vague de contrôles toute la journée. Si dans la soirée le trafic s’était fluidifié, de nombreux Français ont été touchés par ce durcissement.

En ce 8 mai, férié côté français mais pas côté allemand, ils étaient nombreux à avoir choisi d’aller profiter des commerces ouverts outre-Rhin. « Vous êtes français ? Mon manager m’a dit de vous prévenir que des contrôles avaient lieu à la frontière, faites attention en rentrant », lance une serveuse d’un restaurant aux rares clients présents. « Je ne comprends pas ce qu’il se passe et pourquoi on a personne aujourd’hui », confie-t-elle ensuite.

Il s’agit de renforcer le contrôle et, grâce à ce renforcement, d’augmenter le nombre de refoulements

Alexander Dobrindt

Ministre de l’Intérieur allemand

« Les contrôles avaient déjà repris depuis l’Euro de football 2024 », nuance un policier français présent sur place jeudi soir. Mais la plupart des membres des forces de l’ordre présents ne savaient eux-mêmes pas jusqu’à quand cette campagne allait durer. « Sûrement encore plusieurs jours, souffle un policier allemand. C’est en lien avec la nouvelle politique. » De nouvelles perturbations importantes ont été constatées vendredi 9 mai, les contrôles ayant été maintenus. Seule une voie de circulation sur les deux du pont de l’Europe est ouverte.

Ce virage politique outre-Rhin fait jaser en Europe depuis la mise en place du gouvernement du nouveau chancelier Friedrich Merz. À la tête du ministère de l’Intérieur, une figure de la droite bavaroise, Alexander Dobrindt (CSU), décidée à s’opposer à l’immigration irrégulière en Allemagne. Il a ainsi annulé une directive de 2015, émise en pleine crise migratoire européenne, au cours de laquelle l’Allemagne avait accueilli plus d’un million de réfugiés en provenance principalement de Syrie et d’Afghanistan. Elle autorisait alors « l’entrée de ressortissants de pays tiers sans documents légitimant leur séjour et sans présentation d’une demande d’asile ».

Désormais, ordre a été donné à la police des frontières de refouler les demandeurs d’asile sans papiers, « sauf les groupes vulnérables, comme les enfants et les femmes enceintes ». « Nous ne procéderons pas non plus à la fermeture des frontières, mais il s’agit de renforcer le contrôle et, grâce à ce renforcement, d’augmenter le nombre de refoulements », a-t-il détaillé.

Des premières vagues de contrôles qui portent leurs fruits. « Plus on cherche, plus on trouve », explique l’un des policiers allemands présents jeudi, tandis qu’un automobiliste français est prié de se garer sur le bord de la route pour de plus amples vérifications.

Mais ces fruits nourrissent la colère de certains pays limitrophes. Si la France ne s’est pas prononcée, la Suisse a précisé, mercredi soir, « regretter » que Berlin ait décidé « sans consultation » de refouler la plupart des demandeurs d’asile sans papiers, ce qui constitue « une violation du droit en vigueur ». Une aigreur partagée à l’est, côté polonais. Donald Tusk, le chef du gouvernement, a prié le chancelier Friedrich Merz « de se concentrer sur les frontières extérieures de l’UE ».

Le passage à la frontière risque d’être encore pertubé plusieurs jours.

© Nicolas Skopinski / France Télévisions

La colère s’est en tout cas invitée au menu des commémorations franco-allemandes du 8 mai. Présente aux côtés de son homologue de Kehl, Wolfram Britz, Jeanne Barseghian n’a que peu goûté ces nouvelles directives, les maires de Kehl et Strasbourg. « Nous ne pouvons accepter que le nouveau gouvernement fédéral renforce les contrôles au point de compliquer la vie de milliers de frontaliers », ont écrit dans un communiqué commun, les deux édiles, qui regrettaient le choix de la date pour lancer cette vague de contrôles. « Qu’il le fasse le jour où nous commémorons ensemble le 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale avec des messages de paix et de réconciliation témoigne d’un manque de conscience historique et de tact. »



Auteur : Nicolas Skopinski

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Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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