« Tout travail est prostitutionnel »
Un.e travailleur.euse du sexe, ou TDS, est une personne exerçant un travail autour du sexe. Cela peut être la création de contenu pour adultes, la vente de photos, la danse dans un strip-club ou bien la prostitution. De nombreux fantasmes existent autour de ce type de profession. Parfois romantisé, comme dans le film Anora sorti l’année dernière, ce métier fait aussi l’objet de nombreuses polémiques. Certaines associations féministes luttent pour l’abolition de ce métier, car il « objectifierait » le corps de la femme et la mettrait en danger et sous la soumission de proxénètes.
“J’ai juste fermé ma gueule”
Eva (nom d’emprunt) a pratiqué la prostitution pendant quelques mois en 2022, puis en 2025. Elle envisage éventuellement de recommencer dans le futur. « J’ai été très isolée. J’avais vraiment besoin d’argent pour vivre. Cette option me semblait vraiment la plus intéressante car plus accessible. Toutes les formes de travail sont sources de stress pour moi de toute façon ».
Eva s’est donc inscrite sur des sites, comme Sexemodel. Sur ces derniers, elle poste ses photos, ses modalités. Des personnes peuvent ensuite prendre rendez-vous avec elle pour une prestation « Mes clients réservent un hôtel et j’y vais. Je ne vais chez personne et je n’accueille personne. Dans les deux cas pour me protéger ».
Eva refuse d’exercer à son domicile, d’abord pour ne pas donner son adresse. Mais surtout car son propriétaire risquerait d’être accusé de proxénétisme. « Aux yeux de la loi, ça voudrait dire que je paye un loyer à mon propriétaire pour pouvoir y faire mes prestations. Si mon propriétaire le découvre, il va me virer ! » Explique-t-elle, non sans indignation.
Si son travail est facilement accessible, il n’en reste pas moins très difficile. Eva sort son téléphone et pointe son application message. Elle a 118 messages en attente. « C’est tous d’anciens clients. J’essaie de ne pas en prendre trop pour ma charge mentale. Car en plus de devoir être disponible en permanence, tu dois toujours être toute gentille avec eux. C’est hyper fatigant. »
Eva ne se sent pas toujours en sécurité lors de son travail. Elle confie avoir peur depuis qu’elle lit des actualités concernant les assassinats de TDS. “Je me suis fait très peur une fois. Je suis montée dans la voiture d’un client, alors que je me l’étais toujours interdit. J’ai vraiment cru qu’il allait m’arriver quelque chose de grave.”
En dernier recours, Eva est parvenue à trouver un moyen de protection : un système de “backups”, des connaissances tenues informées des horaires et des lieux de prestations. Si Eva ne leur envoyait pas de message après la prestation, elles pouvaient s’inquiéter et agir.
Eva a aussi mis en place cette stratégie depuis un acte de violence qu’elle a subi de la part de ses clients. Elle ne souhaite pas en décrire les faits exacts mais elle affirme avoir été traumatisée. Pourtant, elle n’a pas appelé la police, et a continué à voir ce client. « Je ne veux pas contacter la police car je vais me griller. Ce serait trop risqué, et en plus ils ne vont rien faire. J’ai juste fermé ma gueule » Lâche-t-elle
“Ce n’était que mécanique, je ne prenais aucun plaisir”
Marie (nom d’emprunt) a commencé à 18 ans “À l’époque, je consommais plus que je n’avais d’argent, c’est pour ça que j’ai été tentée”. A l’origine elle ne faisait que vendre des photos par l’intermédiaire des réseaux sociaux.
Mais en s’inscrivant sur Grindr (Application de rencontre pour la communauté gay, puis queer, connue pour son ambiance très libertine), les choses ont changé. « On a doucement commencé à me proposer de me payer pour du sexe. Les prix étaient tellement tentants pour une fille de mon âge que j’ai cédé. »
Mais finalement, Marie n’a pas continué la prostitution longtemps. « Tu te sens sale en fait ! Pendant la prestation, je dissociais. Ce n’était que mécanique, je ne prenais aucun plaisir » Décrit-elle. De plus, Marie est transgenre. Cela n’était pas respecté par ses clients. « On me prenait pour un travelo, même pas une femme. » Ses clients étaient bien souvent beaucoup plus âgés qu’elle.
Si Marie n’a pas trouvé ce travail appréciable, elle ne reste pas fermée à l’idée d’y retourner. “Il est possible que je vende des photos plus tard, en complément de mon activité principale. Puis si je suis à la rue, je pourrais me prostituer de nouveau”. Raconte–t-elle “J’ai du mal à me faire embaucher ailleurs. Cette solution est plus attrayante car plus rapide.”
Selon elle, abolir la prostitution n’est donc pas une solution. “Il y a plein de personnes dont c’est la seule solution pour survivre. Si elles sont dans la précarité, c’est à cause du capitalisme, pas du travail du sexe.”
De nombreuses associations féministes sont « abolitionnistes », signifiant qu’elles souhaitent mettre un terme au travail du sexe, car il existe des femmes forcées à être TDS et soumise à la loi du proxénète.
Aucune de ses associations abolitionnistes n’a répondu à nos demandes d’interview.
STRASS, syndicat du travail du sexe
Pour Elisa Koubi, Coordinatrice du STRASS (Syndicat du TRAvail Sexuel), abolir le travail du sexe n’aurait pas de sens. « Il s’agit d’un travail comme les autres. Il n’est juste pas fait pour tout le monde. De toutes façons, tous les travaux sont à une certaine échelle de la prostitution. » Lance-t-elle. « On choisit tous un moyen pour s’en sortir dans le capitalisme en fait. »
Actuellement, on pourrait dire que la France est un pays abolitionniste, c’est-à-dire qu’il cherche à mettre fin au travail du sexe. Depuis 2016, le délit de racolage a été aboli, mais remplacé par une criminalisation des clients. Aussi, les lois de lutte contre le proxénétisme sont instrumentalisées pour pénaliser les TDS elles-mêmes. « Si deux TDS s’entraident, elles peuvent chacune être jugées comme proxénète. Par exemple, si elles se prêtent du matériel, ou si elles mettent en commun un lieu pour leur travail. »
Le STRASS milite pour la décriminalisation du travail du sexe et pour l’application du droit commun, car des lois spécifiques au travail du sexe ne seraient pas nécessaires. “Mais dans le même temps, on exige un travail pour lutter contre la traite et le travail du sexe forcé. Cela ne doit en revanche pas être utilisé pour pénaliser les TDS. Le travail du sexe forcé ne représente qu’environ 5% de tout le travail du sexe.”
Un chiffre qui paraît faible. « 5%, je trouve ça un peu réducteur, je pense que c’est plus honnêtement. Et dans tous les cas, 5% c’est déjà énorme ! » Confie Eva. Si elle est d’accord sur le fait que le travail du sexe doit être décriminalisé, elle pense que plus d’efforts doivent être faits pour « protéger » les TDS.
Du côté du STRASS, l’application du droit commun devrait déjà réduire les violences. « Pour le moment, ça peut arriver simplement car les clients savent qu’il n’y aura pas de conséquences. » Explique Elisa Koubi.
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Auteur : Eloise Magnier
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