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« On ne peut être bientraitant dans un contexte maltraitant » – MEDIACOOP

Des parents, des salariés et une lanceuse d’alerte en colère après leur lecture de l’article de La Montagne. « La parole a été donnée à la direction de l’ADAPEI. Cela ne représente pas du tout le point de vue des parents et des salariés. »

Le coup de fil commence fort et dénonce une enquête qui vient troubler l’enquête judiciaire en cours. « Comment peut-on condamner sans preuve et comment surtout ne pas donner de responsabilité à une direction qui sème la terreur depuis des années ? »

Chaos à l’IME de Vertaizon

Les mamans ont la voix qui tremblent en racontant les années qu’elles viennent de vivre. La lanceuse d’alerte ne dort plus les nuits. Les salariés sont majoritairement en arrêt maladie.

C’est le Chaos à l’IME de Vertaizon.

Et deux mondes s’affrontent. « Il est compliqué de faire comprendre que nous dénonçons les actes de maltraitance de nos enfants tout en condamnant les conditions dans lesquels on fait travailler les éducateurs. Des conditions qui amènent à des maltraitances de toute part. »

On faisait boire du vinaigre à mon fils juste « pour se marrer »

Carine, maman d’un jeune résident de l’IME depuis 12 ans, a décidé de parler. « Mon garçon a fait partie des victimes de 2017. On lui a fait boire du vinaigre juste pour le plaisir de faire mal. Le médecin ne comprenait pas pourquoi son œsophage était si abîmé. » B. son fils souffre d’une maladie génétique qui fait de lui un enfant non-verbal et à surveiller « pire que le lait sur le feu. » Gourmand, il mange et boit tout ce qu’on lui propose.

En 2017, des salariés dénoncent des actes malveillants de la part de leurs collègues.

« On nous a empêchés de déposer plainte »

A l’époque, on dit aux parents de ne pas porter plainte, l’ADAPEI 63 le fait pour eux. « On n’a pas eu de nouvelles, on pensait que c’était sans suite. »

Mais, un matin, ils apprennent que l’audience se tient le jour même. Le père de B. se rend alors au tribunal, sans y être convié. « Il n’était pas prêt le pauvre. On lui a demandé de témoigner à la barre mais il n’avait rien préparé. » Les deux salariées sont donc relaxées en première instance, faute de preuve.

Mais, Carine ne se laisse pas faire. Et, alors que l’appel est en préparation, elle récupère des témoignages. Elle apprend qu’en plus de faire boire du vinaigre, son fils est régulièrement frappé avec des clefs sur la tête. « Il a été opéré à 4 mois du crâne, donc apprendre ça, c’est terrible. »

Prison avec sursis

La pugnacité de la maman marche bien. En appel, les deux femmes écoperont de 1000 euros d’amende, 6 mois avec sursis et interdiction à vie de travailler avec des personnes vulnérables. « Ce fut un soulagement, mais pas pour tout le monde. »

En effet, la maman avait témoigné sur France Bleu, et avait été contactée par la directrice de l’ADAPEI, Madame Viala. « Elle m’a tout bonnement fâchée, me disant que je n’avais pas le droit de m’exprimer. Déjà qu’on m’a empêchée de porter plainte ! »

Terreur instaurée par la direction

Les parents le reconnaissent aisément. La terreur règne. « L’IME de Vertaizon a un agrément spécifique pour les polyhandicapés. Il y a une grosse liste d’attente. Et nos enfants ont une prise en charge très lourde que l’on ne peut assumer au quotidien, on a peur de perdre nos places. »

C’est ce qu’a vécu une autre maman. « J’ai un jour laissé mon fils et on m’a appelée le soir pour me dire qu’il n’était pas très bien. » Explique-t-elle. « Je suis arrivée et j’ai compris qu’une éducatrice avait administré une dose d’un médicament contre la schizophrénie, alors que mon fils n’a aucun traitement, il est autiste lourd et souffre d’une maladie génétique qui ne nécessite pas de prise en charge médicamenteuse. » Son fils est amorphe, sur un matelas. Il ne bouge plus. Elle l’emmène directement aux urgences. « L’éducatrice m’a dit qu’elle s’était trompé de Mathéo, alors qu’elle le connaissait bien, pourtant. »

Dose médicamenteuse administrée par erreur

A l’hôpital, on lui explique que le cas est grave, comme inscrit dans le formulaire. A l’IME, aucune cheffe de service, aucune astreinte. Le petit garçon s’en sortira. Et Madame Viala, comme seule réponse aurait indiqué à la maman que « l’erreur est humaine. » Aucune excuse ne sera présentée à la famille et à l’enfant.

A cause du manque de place, la maman remet son enfant dans l’établissement. Parfois, il revient sans couche. Un autre jour, il a des bleus. Puis des traces de mains sur les fesses, qu’elle fait constater par le médecin qui notifie des « suspicions de maltraitance. ». « A l’IME on m’a dit qu’il avait des vergetures ! » Le CHU notifiera même une journée d’ITT en victimologie.

Plaintes déposées par la direction contre les parents

Mais là encore, plutôt que d’être soutenue, la maman se verra entendre que la direction va porter plainte contre elle pour diffamation et intention de nuire à l’établissement. « J’ai été convoquée à la gendarmerie mais ça a été classé sans suite. »

Elle demande son soutien au maire de Clermont-Ferrand qui fera un signalement au procureur. Elle alerte la députée Christine Pirès-Beaune qui prend en charge le dossier.

L’ARS 63 ne semble jamais avoir entendu les alertes. La maman décide donc de se tourner vers l’ARS 69 qui organise un audit rapidement.

Carine et d’autres mamans sont passées par l’ARS 69. « Les années sont passées après le procès de deux salariées maltraitantes. Il nous arrivait de voir des bleus sur le bras de mon enfant. Mais, on ne disait pas grand-chose. »

Une violence systémique

Puis éclate dernièrement une nouvelle affaire de maltraitance. « Ca ne nous a pas étonnées » Expliquent les deux mamans. « La violence est systémique sur ce lieu. Les parents, les enfants, les salariés sont maltraités. »

Parmi les personnes incriminées, la lanceuse d’alerte d’il y a 8 ans. « Ca pose question. Devient-on violent dans ce système ? » demande Carine. D’ailleurs, son fils est encore dans les victimes. « Mais ce n’est pas pareil. Là, j’ai l’impression que c’est une maltraitance qui montre une souffrance au travail. C’est pas faire boire du vinaigre pour se marrer, c’est plus des faits et propos qui montrent une lassitude. C’est ce que je reproche : Il faut savoir partir de ce travail avant de devenir maltraitant. »

3 personnes licenciées et 2 mises à pied

5 personnes seront donc mises à pied, dont 3 licenciés.

« Nous en tant que parents, on soutient bien sûr le mouvement des salariés. Ils sont tyrannisés par leur hiérarchie ! On ne peut pas être bientraitant dans un contexte de maltraitance. »

Plus de comité de parents

Une autre maman l’assure : « Il n’y a même plus de Comité de parents à Vertaizon, l’administratrice ayant démissionné, se sentant harcelée par la direction de l’ADAPEI 63, avec laquelle elle était en conflit. » Administratrice qui étale la multitude de mails et courriers reçus. « J’hésite à déposer plainte pour harcèlement. En fait, on ne peut rien dire. Le président de l’ADAPEI 63 nous écrit dès qu’on le contredit. »

Les familles ne sont pas dupes. Depuis quelques années, elles voient la dégradation des conditions de travail et de l’ambiance générale. « On voit un turn over énorme, des arrêts maladies à tour de bras, et des intérimaires parfois mal formés. »

Manque de personnel

Dans la structure, il n’y a pas de médecin, pas d’orthophoniste, ni de psychiatre. « J’ai vu parfois un éducateur pour 7 enfants. » S’exclame une maman venue chercher son enfant pour un rendez-vous. « On a eu 3 cadres de service qui sont restés moins de 6 mois. Ce serait risible si ce n’était pas si dramatique. »

D’autres familles font remonter leur indignation quant à la nourriture. « On nous dit que la structure manque de moyens ; donc nos enfants mangent des rognons et des abats. On nous a prévenus qu’ils n’auraient plus de goûters, faute de financement. »

Une délégation de familles mise en place

Ainsi une délégation de familles est en train de se mettre en place pour être reçue rapidement par l’ARS. « On soutient les professionnels, on veut qu’ils le sachent. Même si pour nous c’est compliqué car on ne pourra pas garder nos enfants à la maison très longtemps. » Exprime une maman qui a dû se mettre en congés.

Beaucoup des familles rencontrées reconnaissent le travail exemplaire des éducateurs, éducatrices. « Nos enfants ont progressé grâce à eux. Les voir se faire malmener comme ça par la direction, c’est affreux. Bien sûr qu’il y a des mauvais professionnels. Ceux-là doivent partir. Mais que la direction ait été aussi maltraitante avec tout le monde, c’est un scandale. C’est aussi la responsabilité de la direction ce qui arrive. Aucun moyen n’est mis pour le bien-être de nos gosses. Et dès qu’on parle, qu’on se plaint, on reçoit des menaces. »

Pire, une maman a reçu un message de la directrice de l’ADAPEI 63 qui lui disait qu’elle avait l’intention de porter plainte pour diffamation . « J’ai dit du mal d’elle une fois c’est vrai mais on a encore le droit de critiquer les gens qui sont sensés gérer la prise en charge de nos enfants et qui ne le font pas correctement. »

Communication coupée

Les enfants reçus à l’IME de Vertaizon sont des cas particulièrement difficiles. « Certains devraient être en psychiatrie. » Alors, les parents questionnent : « Pourquoi l’ADAPEI ne met pas plus de moyens sur cette structure ? »

Le président de l’ADAPEI 63 ne parle plus ni aux salariés, ni aux autres parents qui font remonter les difficultés. « La situation est exécrable. »

Lors de la réunion d’alerte des parents sur les potentiels cas de maltraitance, une mère a été mise en cause. « On a dit que c’était ma faute, que je ne faisais pas remonter les cas, alors que j’ai fait plusieurs alertes. » La direction a même refusé de recevoir les familles qui s’inquiétaient déjà en décembre de cas de maltraitance et de négligence à l’IME. Le président de l’ADAPEI a même accusé dans un mail, les familles « d’entretenir la polémique et de déstabiliser les équipes du siège de l’ADAPEI. »

La maman de Mathéo a décidé de retirer son fils. « En un mois, il a fait des progrès énormes. Ces derniers temps, il était trop mal à l’IME. Il se mettait à mordre, et comme il y avait un turn over important, il n’avait plus de repères. C’est dommage car on a vraiment de bons éducateurs. »

Plaintes contre l’ADAPEI 63

6 familles ont décidé de porter plainte, « mais pour ma part, ce n’est pas contre les éducateurs, mais bien contre la direction de l’ADAPEI 63. Elle cherche trop à faire porter le chapeau à d’autres. »

Dans le cadre de l’enquête, les parents ont été entendus. Les salariés aussi. La lanceuse d’alerte a elle aussi pu témoigner. « J’ai dit que je ne donnerai pas de nom et j’ai démissionné. Jamais, je ne balancerai mes collègues. En revanche, je veux qu’on sache que j’ai eu beaucoup de pression de la part de la direction. On a été jusqu’à me dire que si je donnais les noms, on réfléchirait pour une rupture conventionnelle. Ca s’appelle du chantage. J’ai donc démissionné. Même si je n’ai pas le droit au chômage. »

Des parents qui soutiennent le combat des salariés

Cette ancienne salariée a, elle aussi, apporté tout son soutien, à ses ex-collègues en grève. « Il y a des gens qui font de leur mieux mais faire de son mieux dans pareille situation c’est encore trop peu. La direction doit prendre ses responsabilités. »

Une direction qui n’a pas voulu répondre aux questions de Mediacoop, pourtant envoyées par écrit.

Actuellement, une enquête est en cours pour des cas de maltraitance de 2 salariés, auxquels se sont ajoutés 3 autres mises en cause dans d’autres services. L’un des licenciés n’a pas été poursuivi pour maltraitance mais à cause de plusieurs blâmes distribués par la direction. Une des mises à pied a démissionné, l’autre a pris sa retraite.

3 personnes sont encore poursuivies à ce stade.

Et plusieurs plaintes ont été entamées contre la direction de l’ADAPEI 63.

Plusieurs salariés ont été depuis mutés, sans raison apparente, mais vécu comme une punition, alors qu’ils n’ont aucune charge contre eux.

NB: L’ADAPEI 63 a une double gouvernance : l’une associative avec le président bénévole -père d’un enfant actuellement placé au centre- (qui est en opposition avec les salariés et les parents), un bureau, des délégués et administrateurs. L’autre salariée dont la directrice générale.

Auteur : Eloise LEBOURG

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Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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