Les plus anciennes lances en bois sont 100 000 ans plus jeunes que prévu
Situé en Basse-Saxe (Allemagne), Schöningen est un site emblématique de la Préhistoire européenne. Fouillé depuis le début des années 1990, il couvre environ 3 900 mètres carrés. Véritable mine d’informations, il a livré près de 15 000 découvertes archéologiques. C’est là que furent exhumées les plus anciennes armes de chasse en bois complètes jamais découvertes. La couche stratigraphique les contenant, 13 II-4, est surnommée “l’horizon des lances” : « Il contient toutes les lances (du site de Schöningen, ndlr), les bâtons à double pointe, d’autres artefacts en bois, un grand assemblage d’ossements d’animaux, principalement de chevaux, et une petite collection d’outils en pierre », explique à Sciences et Avenir Jarod Hutson, chercheur au Centre d’Archéologie de Leibniz.
C’est la présence de restes d’animaux très variés (chevaux, cerfs, éléphants, bisons, etc.) en grande quantité à côté des armes qui rend le site si exceptionnel pour les archéologues. « Les lances de Schöningen sont conservées aux côtés des os de plus de 50 chevaux, dont beaucoup présentent des traces de boucherie, ce qui nous donne une image très claire des activités qui ont eu lieu sur le site”, poursuit Jarod Hutson. Le regroupement des carcasses, leur disposition et les traces de découpe indiquent des abattages successifs et localisés, probablement au cours de plusieurs épisodes de chasse. Le site témoigne donc d’une activité de chasse collective et organisée au Paléolithique.
Jusqu’ici, les archéologues estimaient que cet ensemble de découvertes était vieux d’environ 300 000 ans, au milieu du Pléistocène. Cela laissait présumer que les individus ayant façonné ces outils appartenaient à l’espèce Homo heidelbergensis. Mais le 9 mai 2025, dans une étude parue dans la revue Science Advances, une équipe internationale de chercheurs, dont Jarod Hutson est le premier auteur, vient d’avancer l’âge du site de 100 000 ans. Toute l’histoire du site en est changée, car cela signifie qu’il n’était pas fréquenté par Homo heidelbergensis mais par ses descendants : les Néandertaliens.
Lances en bois retrouvées sur le site de Schöningen. Crédits : E. Behrens, C.S. Fuchs, NLD
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Une nouvelle méthode de datation
La nouvelle estimation de l’âge des objets de Schöningen repose sur une méthode encore rarement utilisée sur des sites aussi anciens : la géochronologie par racémisation des acides aminés. Pour rappel, les acides aminés sont les briques qui constituent les protéines. C’est leur présence dans les matériaux organiques qui va permettre d’établir la datation, grâce à une propriété fondamentale des molécules organiques : la chiralité.
La chiralité d’une molécule désigne le fait qu’elle existe en deux versions symétriques non superposables, comme une main droite et une main gauche. Ces deux formes, appelées énantiomères, sont dites « L » (lévogyre) et « D » (dextrogyre). Bien qu’elles aient la même formule chimique, leur disposition spatiale diffère, ce qui peut influencer fortement leur comportement biologique ou chimique. Chez les organismes vivants, seules les formes L des protéines sont présentes. Mais après la mort, ces molécules commencent progressivement à se convertir en leur version D. Ce processus chimique lent et irréversible, nommé racémisation, dépend du temps, de la température et de l’environnement.
Comme nos mains, deux molécules chirales sont le reflet l’une de l’autre dans un miroir mais ne peuvent pas se superposer. Crédits : Wikimedia Commons
En mesurant avec précision le rapport entre les formes D et L dans les vestiges organiques, les chercheurs peuvent estimer le temps écoulé depuis la mort des êtres vivants. Plus ce ratio est élevé, plus l’échantillon est ancien. “Les acides aminés se racémisent à des vitesses différentes, ce qui nous donne des informations utiles pertinentes selon l’échelle de temps qui nous intéresse”, précise Kirsty Penkman, chimiste à l’Université de York, qui a participé à l’étude de Science Advances. Elle a analysé des opercules de mollusques aquatiques et des dents de chevaux trouvés dans la même couche que les lances. Les niveaux de racémisation correspondaient à un âge d’environ 200 000 ans. Cela a permis d’établir que les lances étaient bien plus récentes qu’avec les estimations antérieures, basées uniquement sur des comparaisons entre les couches sédimentaires de Schöningen et celles d’autres sites mieux datés.
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Ainsi, grâce à cette datation inédite, le site de Schöningen cesse d’être un site remarquable aux marges de la préhistoire ancienne, lié à Homo heidelbergensis. Mais désormais, loin d’être devenu inintéressant, il témoigne de la montée en complexité des sociétés néandertaliennes.
Auteur : Bastien Beaujeu
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