Handicap : ce centre social va fabriquer des prothèses de mains pour des enfants
Le centre socio-culturel de Riedisheim (Haut-Rhin) se lance dans un projet ambitieux et solidaire : créer, par imprimantes 3D, des prothèses pour des enfants à qui il manque un doigt ou une main.
Fabriquer, avec des imprimantes 3D, des prothèses pour des enfants agénésiques, c’est-à-dire nés avec une main ou des doigts pas entièrement formés. Cette mission est le nouveau projet que s’est donné C’Riedi, le centre socio-culturel de la ville de Riedisheim, près de Mulhouse.
Un projet qui peut sembler un peu fou pour une petite association de ce type, mais qui, dans les faits, correspond parfaitement à ses objectifs. « Ça allie beaucoup de points importants pour nous : notre mission auprès des enfants et des adolescents, le monde du handicap, et ça nous permet de travailler ce sujet durant des ateliers », explique Clément Beslon, nouveau président de l’association C’Riedi, et instigateur du projet. « C’est comme un fil rouge pour nous. »
« C’est comme un fil rouge pour nous »
L’idée lui est venue il y a deux ans, quand il a rencontré sur un salon, à Mulhouse, des représentants de l’association E-nable France qui réalise ce genre de prothèses. Immédiatement séduit, autant par l’éthique de l’association que par la simplicité du procédé, il a « gardé ça dans un coin de (sa) tête. »
Et en décembre dernier, quand l’association du centre-socio-culturel était à la recherche de nouveaux projets permettant de « lancer une nouvelle dynamique pour avoir un impact social plus percutant », celui-ci a convaincu toute l’équipe.
Concrètement, l’imprimante 3D crée les différentes pièces de la prothèse. Qu’il suffit ensuite d’assembler avec « des fils, des élastiques dentaires et trois vis. » Certes, le résultat n’est pas aussi perfectionné qu’une main « high-tech » animée par de l’électronique et guidée directement par le cerveau.
« L’action reste mécanique », précise Clément Beslon. « Dans cette version, il n’y a que des éléments permettant d’avoir une pince. Mais la pince, c’est un geste primordial, la base du quotidien. Quand l’enfant bouge son moignon, ou son coude, ça crée une action qui replie la main, et lui permet d’actionner la pince. »
Le prototype prêté par l’association E-Nable France
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© Clément Beslon
Ce genre de prothèse représente donc un outil très précieux. Car aujourd’hui encore, en France, environ 450 enfants naissent chaque année avec une agénésie d’un membre. L’antenne française de l’association internationale E-Nable a vu le jour pour réunir tous les ‘bricoleurs’ capables de fabriquer un tel appareil d’assistance, et les mettre en relation avec les personnes qui en ont besoin. En sachant que chaque prothèse, personnalisée, est remise gratuitement.
Et pour la fabrication, nul besoin de faire appel à un prothésiste professionnel. En effet, à partir du modèle standard, « l’association E-Nable fournit la méthode : l’explication sur la manière de prendre les mesures sur l’enfant et la façon de créer l’appareil », assure Clément Beslon.
Mais C’Riedi ne compte pas inonder l’Alsace de prothèses dès les prochaines semaines. « On est dans la mise en route, c’est juste le démarrage », reconnaît le président du centre-socio-culturel. « On va avancer progressivement. »
D’abord, il faut prendre le temps de la formation. Puis celui d’organiser des ateliers « pour des ados, des familles et des adultes intéressés, des jeunes et des moins jeunes qui en ont envie », afin de leur apprendre à se servir des imprimantes 3D. Mais toujours « dans cette vision de répondre aux besoins spécifiques de personnes en situation de handicap. »
Peu à peu, ils pourront donc « réaliser les premiers objets, correspondant à des parties de mains. » Puis une prothèse complète. « On pourra aussi organiser des ateliers de montage d’une prothèse, pour mener une action de sensibilisation à la semaine du handicap », ajoute Clément Beslon.
Cependant, l’équipe du centre socio-culturel connaît déjà deux bénéficiaires potentiels de prothèses personnalisées. « On a le cas d’une dame adulte, paralysée du côté gauche suite à un AVC », raconte le président de C’Riedi. « On connaît aussi un enfant à qui il manque une phalange à la main droite, ce qui le désavantage quand il joue du piano. Et on voudrait voir comment on pourrait l’aider. »
Recréer une phalange adaptée au doigt du jeune pianiste pourrait constituer une première étape, assez rapidement réalisable. « Ce seraient des petits pas, avant d’atteindre notre objectif final : construire une main complète pour un enfant. Même si on en réalise une seulement tous les deux ou trois ans, ce serait déjà formidable » s’exclame Clément Beslon. Car ensuite, il faudra s’engager à la renouveler tous les 12 à 18 mois, pour l’adapter à la croissance de son jeune bénéficiaire.
Une prothèse de main n’aide pas simplement l’enfant qui la porte à mieux se débrouiller au quotidien. Elle change aussi le regard que ses copains portent sur lui. « Quand il arrive en classe avec sa prothèse en couleur, les autres le voient comme un super-héros », se réjouit Clément Beslon. « On peut changer le handicap en super-pouvoir, juste en changeant le regard. »
A son échelle, l’équipe de C’Riedi en a déjà fait l’expérience, grâce au prototype de prothèse que E-Nable France lui prête actuellement, pour servir de modèle. « On a déjà pu observer les réactions des enfants qui la découvrent, raconte Clément Beslong. Subjugués par la mécanique, ils s’écrient : ‘Oh la chance qu’ils ont, d’avoir ça !’ Alors on peut aussi leur expliquer que derrière cette ‘chance’, il y a un handicap », souvent lourd à porter.
« On peut changer le handicap en super-pouvoir. »
L’équipe du centre socio-culturel souhaite aussi adapter ce projet aux enfants suivis dans le cadre du dispositif CLAS (contrat local d’accompagnement spécifique) parce qu’ils manifestent des difficultés de comportement. « On pourra ainsi leur montrer qu’il y a autre chose, et leur faire comprendre un cas concret, de A à Z. »
Sensibiliser jeunes et moins jeunes à la réalité du handicap est l’un des objectifs du projet. Mais il permettra aussi de nuancer leur approche du numérique, souvent tant décrié. « Nous pourrons amener des imprimantes 3D dans des foyers et clubs des écoles, pour former les enfants et les adolescents à une utilisation plus positive, plus sociale, de la technologie », se réjouit le président de C’Riedi. « Pour leur montrer que les outils informatiques et technologiques peuvent servir à procurer du bien-être. Et peut-être même déclencher des vocations chez certains jeunes. »
Les prothèses personnalisées seront bien sûr remises gratuitement à leurs destinataires. « L’objectif n’est pas de faire du business, mais d’aider, et donner de notre temps », précise Clément Beslong. Un objectif d’autant plus réaliste que le prix de revient d’une prothèse est dérisoire, « entre 3 et 6 euros la main complète. Ce qui coûte le plus cher, ce sont les vis, le fil et les élastiques dentaires. »
Reste cependant le prix des imprimantes qu’il faut encore acheter. Un don de 2000 euros reçu le 21 mai dernier, va permettre au centre socio-culturel d’en acquérir deux. L’idée est « de prendre des machines abordables, et d’en avoir plusieurs pour commencer », même s’il en existe d’autres, « beaucoup plus chères, de l’ordre de 2 à 3000 euros la pièce. »
A terme, C’Riedi souhaiterait « pouvoir équiper toutes les écoles avec des machines performantes. » L’association du centre socio-culturel lance donc un appel à dons auprès de sponsors. Elle vient également de lancer une cagnotte en ligne à destination des particuliers, afin d’espérer récolter les fonds nécessaires pour mener son projet à terme.
Auteur : Sabine Pfeiffer
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