23.10.2025 Cédric Balcon-Hermand 15 Views 0 Comments

Redécouvrir l’Art : L’Ivresse Esthétique selon Nietzsche

Mise à jour le 2025-10-23 10:55:00 : La connexion à l’art peut se perdre dans l’obsession de capturer l’instant. Une réflexion sur notre rapport à l’esthétique.

Profiter d’une œuvre d’art, d’un spectacle ou du concert de votre star préférée, n’est-ce pas s’y abandonner pour vivre pleinement ce moment, au point de tout lâcher, même son smartphone ? Dans cette chronique du Fil philo de France Culture, Nassim El Kabli revient sur notre rapport à l’art à travers les réflexions du philosophe Friedrich Nietzsche. Car l’expérience esthétique ne se vit pas dans n’importe quelles conditions. Elle relève d’une forme d’ivresse à vivre sans modération.

S’abandonner à l’œuvre d’art

Ça y est, vous y êtes, votre artiste préféré, celui que vous suivez depuis longtemps et dont vous connaissez chaque chanson, se produit enfin sur scène. Mais, alors que le rideau se lève, un autre rideau se dresse en même temps : celui de votre écran de portable et ceux des autres spectateurs. Et, tout au long du concert, afin de ne pas en perdre une miette, vous ne lâchez plus votre téléphone. Ou plutôt, c’est lui qui ne vous lâche plus ?

Nietzsche, philosophe allemand du XIXᵉ siècle, l’a très bien perçu : une expérience esthétique accomplie relève de l’ivresse. Soit tout l’inverse de la maîtrise et du contrôle que peut apporter le fait d’immortaliser un événement avec son téléphone qui nous place plutôt dans une volonté de maîtriser l’instant de l’expérience.

Une ivresse qui se vit dans le moment présent

En archivant votre expérience au moment même où vous êtes en train de la vivre, n’êtes-vous pas plutôt en train de faire de ce moment présent une expérience déjà passée ? Car photographier ou filmer, c’est se tenir à distance et vouloir maîtriser la situation. Au point même que, une fois votre photo prise, vous la regardiez aussitôt.

Comme le souligne Nietzsche dans les Fragments posthumes, l’audition d’une musique ou la contemplation d’un tableau procurent une ivresse. Cette sensation plonge le corps dans un état d’excitation et d’éveil, lequel renforce et vivifie notre sentiment d’existence. Mais attention : cette ivresse esthétique n’a pour Nietzsche rien à voir avec l’ivresse provoquée par le vin ou la bière, qui, au contraire, diminue notre puissance d’agir !

Plus encore, la jouissance esthétique augmente notre sentiment d’exister. Or celui-ci se vit pleinement au présent. Mais la photo ou la vidéo y fait justement « écran », détournant l’instant présent et transformant ce qui se vit en souvenir. Plutôt que d’immortaliser le moment, vous n’en conserverez que son fantôme.

Prendre soin de sa santé esthétique

S’il est normal de vouloir conserver le souvenir d’un événement qui vous tient tellement à cœur, mais le portable n’est finalement pas le meilleur outil de préservation. Soit l’événement est vraiment magique et votre mémoire affective s’en souviendra parfaitement. Soit le spectacle n’était pas à la hauteur et, dans ce cas, quel intérêt d’immortaliser un moment décevant ?

Nietzsche a écrit plusieurs aphorismes sur ce qu’il appelle la « physiologie de l’art« . Parler de physiologie, c’est reconduire l’expérience esthétique à sa source vitale, organique et biologique. Il est donc à propos de parler de santé esthétique comme on parle de santé mentale ou physique.