Agriculture

Agriculture bio : Face aux coupes budgétaires dans la filière, des agriculteurs expédient des colis à leur ministre, « ce n’est que le début »

L’Agence bio, chargée du développement de l’agriculture biologique, a été amputée de 15 millions d’euros après une décision ministérielle rendue le 15 mai. En guise de protestation, des agriculteurs bretons ont expédié des colis à la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, le vendredi 30 mai à Guingamp.

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La filière agricole poursuit ses mobilisations. Après les mouvements organisés par la Confédération paysanne et la FNSEA pour défendre ou protester contre la loi Duplomb, vient le tour des agriculteurs biologiques. À Guingamp, dans les Côtes-d’Armor, une trentaine de producteurs bio s’est rassemblée le vendredi 30 mai en début d’après-midi. « Ce n’est que le début pour la filière biologique », prévient l’un des organisateurs.

Tous ont soigneusement préparé des paniers garnis avec des produits issus de leur activité biologique, parmi lesquels des yaourts, du lait, de la viande, des tisanes et des légumes. Des colis, accompagnés de lettres, tout droit envoyés au ministère de l’Agriculture pour dénoncer le choix opéré par la ministre Annie Genevard.

Un rassemblement d’agriculteurs biologiques a eu lieu à Guingamp le vendredi 30 mai.

© Yann Chéritel / agriculteur biologique des Côtes-d’Armor

Le mardi 15 mai, la ministre de l’Agriculture a annoncé que le budget alloué à l’Agence bio, chargée du développement et de la promotion de l’agriculture biologique, allait diminuer de 15 millions d’euros. Dans le détail, 5 millions d’euros sont supprimés du budget de la communication, et 10 millions du fonds Avenir bio, chargé du soutien des projets de développement dans la filière biologique.

L’agriculture biologique, incapable de nourrir le monde ?

Ces envois de colis sont une action symbolique pour ces agriculteurs. « D’un côté, il y a ces énormes suppressions de budget qui vont avoir des conséquences drastiques pour les professionnels, souffle Yann Chéritel, agriculteur bio en poly élevage situé à Moustéru dans les Côtes-D’Armor. De l’autre, c’est aussi une réponse à la ministre de l’agriculture, qui a dit à l’une des députées du Finistère : l’agriculture biologique est une agriculture de principe, incapable de nourrir le monde. » Un envoi de produit qui vise à démontrer l’inverse.

L’agriculture bio produit et les chiffres l’attestent.

Yann Chéritel

Agriculteur biologique des Côtes-d’Armor

« Il faut s’enlever l’idée qui veut que l’agriculture biologique ne produise pas, assure Yann Chéritel, aussi président du groupement des agriculteurs biologiques des Côtes-d’Armor (GAB22). Dans mon cas, j’ai repris la ferme conventionnelle laitière de ma mère et l’ai convertie en activité biologique, raconte-t-il. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes : elle enregistrait 330 000 litres de lait par an quand j’en produis aujourd’hui 380 000. Idem pour le colza, avec lequel je fais exactement les mêmes rendements. »

En dehors des quantités produites, Yann Chéritel défend également la « gestion verte » de son activité agricole. « J’ai fait le choix d’arrêter de produire du maïs en masse, de stopper l’utilisation du soja venu d’Argentine, ainsi que celle du gaz russe, liste l’agriculteur. Finalement, ça m’a même permis de faire des économies de charges. Il faut défendre cette vision de l’agriculture. »

Ce modèle d’agriculture est fièrement défendu par les groupements départementaux des agriculteurs biologiques (GAB).« Leur tâche principale est de proposer des solutions et suggérer des conseils aux professionnels pour développer leurs activités, explique le président du groupement des Côtes-d’Armor. Et d’assurer que les actions entreprises ainsi que les fermes respectent la biodiversité. » L’agriculteur breton prend pour exemple l’installation de nichoirs pour la faune sauvage et les actions menées en faveur de la préservation des haies.

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« Ces groupements permettent également de porter ces combats au sein des instances et figures politiques, qu’elles soient départementales, régionales ou nationales », poursuit Yann Chéritel. Dans la région, les agriculteurs biologiques comptent énormément sur les députés des quatre départements pour défendre le sort de l’Agence bio jusque dans « les sphères élitistes du gouvernement ».

« Par sa vision, la ministre de l’agriculture considère que l’agriculture bio doit se suffire à elle-même, analyse la députée du Finistère Sandrine Le Feur. Beaucoup d’élus pensent que l’agriculture bio ne permettra jamais d’atteindre la souveraineté alimentaire. Mais ce signal envoyé n’est pas bon », poursuit l’élue.

On subit des moments tellement difficiles que certains agriculteurs biologiques se sont désengagés et sont retournés vers le conventionnel.

Sandrine Le Feur

Députée du Finistère

« L’agriculture bio permet, en plus, de faire économiser de l’argent à l’Etat, ajoute Sandrine Le Feur. Il n’y a pas de pollution de l’eau, de l’air et des sols car nous n’utilisons pas de produits. Et on sait à quel point il est cher aujourd’hui de dépolluer de l’eau par exemple. » Un argument qui n’est pour le moment pas entendu par la ministre de l’Agriculture, qu’elle compte rencontrer pour comprendre ses motivations.

Si les coupes budgétaires à l’Agence bio auront des conséquences pour l’ensemble de la filière biologique, elles mettront surtout en difficulté les porteurs de projets. Voilà cinq ans que Jérémie Couédon travaille à l’achat d’une ferme laitière biologique à Combourg, en Ille-et-Vilaine. « Avec ces annonces du ministère de l’Agriculture, je fais face à de l’incertitude et à de nombreux questionnements », regrette-t-il. Pour cause, le futur agriculteur doit officiellement s’installer dans sa ferme au 1er janvier 2026.

Je crains l’avenir de l’agriculture biologique, en tant que professionnel et consommateur.

Jérémie Couédon

Porteur de projet dans l’agriculture biologique

Pendant cinq ans, Jérémie Couédon s’est formé, en gardant toujours en tête d’acheter cette petite ferme proche de Dinan. « J’ai travaillé en tant que salarié agricole, à divers postes, pour apprendre sur le tas, explique-t-il, alors que je ne suis pas issu du monde agricole à la base. J’ai également suivi des formations de la Coopérative d’installation en agriculture paysanne (CIAP 22) dans les Côtes-d’Armor. » Une association qui dispense des savoirs pratiques et des connaissances en entrepreneuriat.

J’ai déjà pensé à abandonner le projet, mais je n’ai pas envie de me résigner.

Jérémie Couédon

Porteur de projet dans l’agriculture biologique

Encore aujourd’hui, pour monter son projet et acquérir la ferme biologique, Jérémie Couédon reçoit 4 500 euros de crédits d’impôts biologiques par an versés par l’Etat. Auxquels il faut ajouter 18 000 euros d’aides en lien avec les projets de Mesures agro-environnementales et Climatiques (MAEC) de la part de la région Bretagne et de l’Etat. « Jusqu’à quand, vais-je avoir le droit à ces aides financières vu le parti pris par la ministre? se questionne-t-il. Aujourd’hui, très peu d’agriculteurs peuvent vivre sans cet argent public. »

Nouvelle génération et santé mentale

Plus largement, Jérémie Couédon se dit désespéré face aux enjeux qui traversent le monde agricole, notamment les difficultés du renouvellement des générations d’agriculteurs et la problématique de la santé mentale chez les professionnels. Comme beaucoup, peu de solutions s’offrent à lui en cas de suppressions d’aides. « Il va falloir que je travaille plus pour produire plus », conclut-il, amer.

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Dans le département des Côtes-d’Armor, les agriculteurs biologiques appellent au rassemblement dans les prochains jours. Des mobilisations se préparent déjà dans les communes de Lamballe, Plérin, Lannion et Rostrenen. « Les professionnels des autres départements bretons vont également se mobiliser. Ce n’est que le début », assurent les deux agriculteurs.



Auteur : Alexandre Plumet

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Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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