Désinfox. Est-il vrai que « les moins riches n’ont pas de voiture », comme l’affirme Agnès Pannier-Runacher ?

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Sur fond de débat sulfureux quant à l’avenir des zones à faibles émissions (ZFE), Agnès Pannier-Runacher a lâché une petite phrase qui a beaucoup fait réagir : « De toute façon les moins riches n’ont pas de voiture, ce sont ceux qui ne sont pas équipés en voiture », a déclaré la ministre de la Transition écologique sur BFMTV mardi, faisant des ZFE un « sujet de santé publique majeur ».

Un sujet qui divise

Le projet de loi sur la simplification, examiné ce mercredi à l’Assemblée nationale, a relancé le débat sur les ZFE. LR et le RN défendent une abrogation totale, quand le gouvernement tente de convaincre les députés de les conserver – au moins dans les villes qui le souhaitent.

Le propos de la ministre a été largement critiqué sur les réseaux sociaux. Répondant ainsi à l’écrivain Alexandre Jardin sur X, la ministre de la Transition écologique a enfoncé le clou : « Les moins riches, donc les plus vulnérables, sont ceux qui sont malheureusement le moins équipés en voitures. Le nier c’est invisibiliser les plus précaires ! », a-t-elle renchéri.

S’en remettant « aux faits », a-t-elle raison ? La réponse est un peu plus nuancée, mais la réalité est bien celle-ci : le niveau de vie influe fortement sur la détention ou non d’une automobile.

Un tiers des 20% les plus pauvres n’a pas de voiture

Ainsi, selon l’Insee, un peu plus de 83% des ménages français possèdent une voiture. Mais c’est 91,2% chez les 20% les plus riches, contre seulement 65,6% chez les 20% les plus pauvres.

Et moins, encore, chez les 10%, voire les 5% les plus pauvres, dont les revenus sont extrêmement contraints. Ainsi, les 10% de ménages les plus pauvres ne possèdent que 5% du parc automobile. A l’opposé, les 10% les plus riches, avec parfois plusieurs voitures, en possèdent plus de 13%.

Et encore : parmi les 16% des ménages qui n’en possèdent pas, il y a d’une part « une population aisée, souvent jeune et urbaine, qui ne s’en équipe pas par choix et qui a les moyens de payer des services de transport (taxis, voitures de location, train, etc.) », mais aussi, à l’autre extrémité de l’échelle des revenus, « de jeunes adultes qui n’en ont pas les moyens financiers et dont la mobilité est réduite », rappelle le Centre d’observation de la société. Autrement dit, ne pas avoir de voiture est plus fréquent et plus subi chez les plus pauvres, et plus rare et plutôt choisi chez les plus riches.

Des véhicules plus vieux, plus polluants

Par ailleurs, chez les ménages équipés, les plus pauvres roulent plus souvent au gazole, avec un véhicule plus ancien, et plus souvent acheté d’occasion.

Si la durée de détention du véhicule augmente depuis trente ans pour tous les ménages, c’est encore plus vrai chez les moins fortunés.

Chez les « plus pauvres », qui sont aussi les plus vulnérables à la pollution en général, Agnès Pannier-Runacher a donc raison d’affirmer que la possession d’une voiture est d’autant plus rare. Enfin, interpellée à l’Assemblée nationale sur le risque d’exclusion des villes pour les foyers modestes contraints d’utiliser un véhicule polluant, la ministre a souhaité  mieux les accompagner, notamment par le biais du dispositif de leasing social pour les véhicules propres ou les primes à la conversion, y compris pour les occasions.

Les ZFE efficaces pour la qualité de l’air

Les zones à faibles émissions sont très répandues en Europe, souvent depuis plusieurs décennies : le continent compte aujourd’hui plus de 300 de ces zones qui limitent le trafic automobile, de Milan depuis les années 1990 (Italie) à Londres (Royaume-Uni), en passant par Wuppertal (Allemagne) ou Varsovie (Pologne). Très disparates dans leurs critères et leurs exceptions, elles ont un point commun : ça fonctionne.

Ainsi, Londres a réduit de 44% les concentrations de dioxyde d’azote (NO2, notamment associé au trafic routier) depuis la mise en place de sa ZFE en 2019. Même chose à Paris (-42% depuis 2017). Même s’il est difficile de faire précisément la part des choses entre les effets des ZFE et ceux d’autres mesures : à Munich et Berlin, les émissions de particules fines (PM10) ont baissé de 15% avec l’interdiction des véhicules les plus âgés, pas les émissions de NO2. Mais les critères allemands sont bien moins stricts que les britanniques.

En parallèle, la qualité de l’air s’est beaucoup améliorée dans les villes européennes ces dernières années, aussi grâce à de nouveaux moteurs et carburants. Mais la pollution de l’air reste une des principales causes de mort prématurée. Surtout au plus près des grands axes routiers, où vivent les plus précaires. Les particules fines tuent précocement au moins 239 000 personnes chaque année en Europe, sans compter le développement de maladies comme l’asthme, les cancers du poumon et autres affections cardiaques.

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Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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