Désinfox. Des scientifiques ont-ils vraiment transformé du plomb en or au Cern de Genève ?
« 86 milliards de noyaux d’or à partir de plomb, voilà ce qui a été créé pendant la deuxième période d’exploitation du LHC, l’accélérateur de particules […] entre 2015 et 2018 » au sujet du « grand collisionneur de hadrons » du Cern, à la frontière franco-suisse, annonce le Dauphiné libéré ce jeudi.
« De quoi financer le projet d’accélérateur de 91 kilomètres ? Pas vraiment », conclut le quotidien des Alpes.
Un rêve d’alchimiste (presque) réalisé
Dans la pratique, du plomb a bien été brièvement changé en or… Ce qui nécessite quelques explications. L’article à l’origine de cette information été publié ce jeudi dans le très sérieux Physical Reviews Journal, sous le titre « Émission de protons dans les collisions ultrapériphériques Pb-Pb à√𝑠𝑁𝑁=5.02TeV ». Abscons ? Un peu…
Les alchimistes rêvent depuis la nuit des temps de changer le plomb, dont les réserves mondiales s’élèvent à plusieurs centaines de millions de tonnes, en or : on estime que la planète abrite moins de 250 000 tonnes d’or « accessible », dont 80 % ont déjà été extraites. Concrètement, tout l’or du monde peut entrer dans un cube de 20 mètres de côté…
Un process très éphémère
Alors les scientifiques du « grand collisionneur de hadrons » (LHC) du Cern, à Genève, ont-ils percé le secret de la pierre philosophale pour en « fabriquer » ? Pas vraiment. Mais la physique nucléaire leur a permis de brièvement modifier la structure d’atomes, changeant de façon très éphémère du plomb en or.
Un atome de plomb comporte habituellement 82 protons et 126 neutrons. Un atome d’or, lui, trois protons de moins : 79, pour un même nombre de 126 neutrons. En théorie, il « suffit » donc de « retirer » trois protons à un atome de plomb pour le transformer en or. Disons-le tout net : même techniquement possible, cette action coûteraît plus cher… que d’acheter de l’or.
Jamais de l’or n’a été créé sur Terre
Notre planète n’a d’ailleurs jamais « produit » d’or : cet élément provient de la chute d’astéroïdes sur Terre il y a plusieurs milliards d’années, après des collisions d’étoiles à neutrons, extrêmement puissantes. D’où sa rareté…
Sous la frontière avec la Suisse, au LHC, s’étire un anneau de 27 km de circonférence. Un accélérateur de particules, dans lequel il est possible de faire se percuter celles-ci à une vitesse proche de celle de la lumière. Presque de la science-fiction, mais l’outil a déjà permis des découvertes scientifiques majeures.
Entre 2015 et 2018, les chercheurs y ont ainsi propulsé des noyaux d’atomes de plomb (nucléons) les uns contre les autres. Pas dans le but de « créer de l’or », explique au Parisien John Jowett, physicien. Mais pour « créer des gouttelettes de la matière primordiale » grâce au « noyau massif » des atomes de plomb. De la matière primordiale, telle qu’elle existait immédiatement après le Big Bang, d’une température 200 000 fois supérieure à celle du coeur du Soleil – dans les 3 000 milliards de degrés. Chaud.
« Nous savions que nous pourrions créer de l’or »
« Nous savions qu’à cette occasion, nous pourrions peut-être créer de l’or, poursuit le scientifique. Et c’est ce que nous avons récemment pu mesurer. » Et pas qu’un peu : 86 milliards de noyaux d’atomes d’or ont ainsi été « fabriqués » en trois ans.
Mais… – car il y a un « mais » – pas de quoi s’enrichir : d’abord, malgré leur très grand nombre, ces noyaux atomiques ne pèsent quasiment rien. Au total, un picogramme. Donc un millionième de millionième de gramme. Le moindre bijou en or comporte un demi-gramme du précieux métal.
Une expérience riche d’enseignements
Ensuite, ces particules d’or « créées » n’ont aucune stabilité : elles n’ont existé qu’une infime fraction de seconde, avant de se muer en d’autres éléments.
Reste que l’expérience – qui n’avait pas pour but de créer de l’or – s’est révélée positive : cette « dissociation électromagnétique » causée par cette circulation à très grande vitesse doit permettre aux scientifiques du Cern de mieux comprendre la physique nucléaire, la formation de la matière – jusqu’à la création de l’Univers.
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