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Bobigny : la cité Paul-Eluard dans le noir, le bailleur en veille – Bondy Blog

C’est l’histoire d’une cité qui cumule les problèmes d’insalubrité. Présence de nuisibles, humidité permanente, coupures d’eau récurrentes, pannes d’ascenseurs persistantes. La liste est longue.

Depuis mardi soir, une coupure de courant préoccupe les habitants de la cité Paul-Eluard, située au centre-ville de Bobigny. « Tout a sauté, comme une coupure de courant classique. Sauf que ça fait plusieurs jours, ça, c’est moins classique », résume un habitant qui souhaite rester anonyme, comme la plupart de ses voisins «  pour ne pas avoir davantage de problèmes ». La coupure aurait été provoquée par le vol de câbles électriques, près de 300 mètres de câbles d’après le maire de la ville, Abdel Sadi.

« Déjà juste ça, comment c’est possible ? », questionne Aly Diouara, député de la circonscription. « Pardon, mais comment des gens ont pu voler des dizaines de mètres de câbles, comment ces câbles se sont retrouvés accessibles ? La question de la sécurité se pose. »

Des foyers sans dessus dessous

Résultat : quatre tours de 110 logements chacune sont privées d’électricité. Ces tours abritent des familles entières, ce qui représente des milliers d’habitants. Parmi eux, des personnes âgées branchées à une assistance respiratoire. Sans courant, ces machines ne peuvent fonctionner.

Idem pour les réfrigérateurs et congélateurs. Un détail qui n’en est pas un dans un contexte économique fragile, dans le département le plus pauvre de France. « On se parle de congélateurs chargés de courses qui coûtent chères qui vont aller à la poubelle, c’est un scandale », entend-on sur la dalle.

Nous avons très peur pour nos voisins qui ont besoin d’une assistance respiratoire

Mehdi qui habite la cité depuis 20 ans s’inquiète pour les habitants les plus vulnérables. « La situation est complexe pour tout le monde mais nous avons très peur pour nos voisins qui ont besoin d’une assistance respiratoire. Les conséquences peuvent être très graves. Les gens sont stressés, inquiets. On nous dit que l’intervention sera faite “demain” depuis plusieurs jours, mais chaque heure est de trop. »

Les batteries de téléphones baissent, l’angoisse monte : «Imaginons qu’il arrive le moindre truc ? On ne peut même pas forcément s’appeler entre nous, appeler les secours. » Une angoisse qui enfle au souvenir  de l’incendie qui a eu lieu dans la cité Paul-Eluard et qui a fait quatre morts en 2019.

Des locataires à bout de nerfs

« C’est un scandale », amorce une résidente retraitée. « J’habite ici depuis 1991, j’ai vu la cité se dégrader. C’est indécent. Ce ne sont plus des appartements, ce sont des enclos. On nous traite comme des animaux. Et encore, les animaux, au moins, ils ont un droit de protection… », s’indigne-t-elle.

« Je suis révoltée de voir qu’un ascenseur peut rester en panne pendant 4 mois. Quand il fonctionne, on stresse dedans parce qu’on a peur de ne pas arriver à destination. Je ne le prends plus de mon côté, je sors beaucoup moins. C’est pesant. Je ne vous cache pas que ça m’est déjà arrivé d’avoir de mauvaises idées quand je regarde en bas, du haut de ma tour, je me dis que ma vie ne peut pas se résumer à ça, être coupée de la vie, ce n’est pas une vie », lance la retraitée.

Ces griefs ne s’arrêtent pas là. Elle liste les problèmes d’insalubrité auxquels elle fait face depuis plusieurs années. Inondation des terrasses, humidité et aérations complexes, murs fissurés, dysfonctionnement des chauffages l’hiver, passoires thermiques l’été, sans compter les cafards qui remontent par les vide-ordures et les canalisations.

Quand il s’agit de nous prélever ou envoyer des avis de recouvrement et des huissiers au moindre retard, il y a du monde

La dame de 75 ans nous fait part de certaines difficultés pour payer son loyer : « quand il s’agit de nous prélever ou envoyer des avis de recouvrement et des huissiers au moindre retard, il y a du monde, mais quand il s’agit d’agir et de communiquer quand il y a des problèmes il n’y a plus personne. »

Elle paye 649 euros par mois pour son F3 qu’elle voudrait changer contre un F2 maintenant que ses enfants ont quitté le domicile familial. « Je voudrais le laisser à une famille qui a besoin de plus grand et moi je paierai moins cher. » Elle touche 1  100 euros de retraite : « à la fin du mois, il me reste 100 euros pour manger. Bien sûr que c’est compliqué de joindre les deux bouts. Je ne sais pas ce que c’est qu’une sortie, m’acheter un vêtement, faire un anniversaire à un de mes petits-enfants ou à mes enfants… »

« C’est bien de se parler de rénovation énergétique, mais on fait quoi de certains quartiers existants qui sont en train de pourrir ? »

Stanley est président de l’association Nouvel-Élan 93, née à Bobigny en 2020. Il était présent dès les premières alertes des habitants : « C’est un problème qui pourrait arriver dans n’importe quel quartier de France, au-delà de ce cas précis à Bobigny, sur le plan plus national, c’est bien de se parler de rénovation énergétique, c’est bien de construire des éco-quartiers, mais on fait quoi de certains quartiers existants qui sont en train de pourrir ? Dans certains quartiers, le temps s’est arrêté, on est encore dans les quartiers des années 1990. »

Aly Diouara qualifie la situation comme d’inadmissible : « pour certains de ces locataires, l’électricité est vitale ». Dès les premiers mois de son mandat, au mois de septembre, il alertait sur les soucis d’insalubrité à Paul-Eluard, adressant au bailleur un courrier que nous avons pu consulter, pointant les insalubrités énoncées par les habitants plus haut.

« On est face à un bailleur qui ne joue absolument pas son rôle et qui remet en question les locataires dans leur usage des locaux. C’est important de rappeler que ce n’est pas de la faute des locataires qui, eux, font leur job et payent leur loyer », souligne le député.

Vendredi, au moment de la mise en ligne de cet article, le courant a été rétabli. Contactés à plusieurs reprises par le Bondy Blog, le groupe Polylogie et le bailleur Logirep n’ont pas répondu à nos questions pour le moment.

Sarah Ichou



Auteur : Sarah Ichou

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Artia13

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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