« À peu près cinq mille pages » : les cahiers de doléances originaux, rédigés après la crise des Gilets jaunes, désormais consultables par tous à Limoges
La consultation des cahiers de doléances originaux, rédigés en 2019 après la crise des « Gilets jaunes », est désormais ouverte à tous les citoyens. Jusqu’à présent, seules leurs copies anonymisées étaient accessibles. Aux archives départementales de Haute-Vienne, des milliers de revendications sont compilées.
« On est déjà entré dans le champ de l’Histoire. Ces documents vont donner une image de la situation du début de mandat d’Emmanuel Macron. Une image, dans le temps, des tensions sociales qui existaient. » Pour approcher ce morceau d’Histoire, il suffit désormais de se rendre aux archives départementales de Haute-Vienne, à Limoges. Après demande, un agent vous conduit au deuxième étage du bâtiment, où sont entreposés les « cahiers de doléances » originaux. « Cela représente à peu près cinq mille pages, détaille Michel Sarter, le directeur des lieux. C’est une base intéressante et importante !«
Dans un arrêté du mardi 29 avril dernier, le gouvernement a décrété l’ouverture, à tous les citoyens, de l’accès aux cahiers de doléances rédigés après la crise des « Gilets jaunes ». Jusqu’ici, le grand public ne pouvait consulter que leurs copies anonymisées. Seuls les chercheurs pouvaient étudier les documents originaux. Mis en place par Emmanuel Macron au printemps 2019, au moment du Grand débat national, vingt mille cahiers dits « citoyens » (leur nom officiel) avaient été remplis, en mairie, partout en France.
Copie d’un cahier de doléances de la commune du Palais-sur-Vienne.
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© Jean-Marie Arnal / France Télévisions
Stockés dans de longs et lourds rayonnages, que les archivistes doivent déplacer à l’aide de manivelles, ces documents se présentent sous des formes diverses. On y trouve des feuilles volantes, noircies par des écritures manuscrites plus ou moins lisibles, des mails imprimés par les mairies, des formulaires à l’aspect très officiel, tamponnés et marqués d’un sceau bleu, blanc et rouge, ou encore de banals carnets « Conquérant », qui évoquent davantage les bancs d’écoliers que les ors de la République. « Ce sont des originaux, les supports ont souffert de la manipulation, les documents sont déjà un peu froissés« , sourit Michel Sarter, en tenant dans ses mains un imposant classeur.
C’est une particularité de notre département : énormément de gens se sont exprimés.
Michel SarterDirecteur des archives départementales de Haute-Vienne
Nantiat, Magnac-Bourg, Ladignac-le-Long, Rochechouart… L’immense majorité des deux cents communes de Haute-Vienne se révèle représentée. « C’est une particularité de notre département, remarque le directeur des archives. Énormément de gens se sont exprimés. » Concernant leur forme, Michel Sarter tient à nuancer le parallèle avec les cahiers de doléances de 1789 : « Au moment des États généraux qui ont précédé la Révolution française, ce sont toutes les collectivités, les paroisses, qui se sont réunies avec un seul rédacteur, soit le prêtre, soit un notaire du village. Donc c’était très organisé et structuré. Ici, pour ceux de 2019, c’est quelque chose qui est beaucoup plus libre, avec une expression très libérée.«
Le retour de la limitation de vitesse à quatre-vingt-dix kilomètres par heure sur routes constitue l’une des revendications les plus récurrentes.
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© Jean-Marie Arnal / France Télévisions
On sent, en Limousin, territoire rural, une peine à exister en-dehors des grands espaces métropolitains
Michel SarterDirecteur des archives départementales de Haute-Vienne
Mais alors, que contiennent ces fameux cahiers ? Indexation des petites retraites au coût de la vie, retour à la limitation de vitesse à quatre-vingt-dix kilomètres par heure kilomètres par heure, scrutin proportionnel, baisse des dépenses de l’État, expulsion des étrangers « fichés S », référendum d’initiative citoyenne, rétablissement de l’ISF… Si les revendications peuvent sembler hétéroclites, pour Michel Sarter, une tendance saillante apparaît : une certaine fracture entre « grandes villes et monde rural« . « On sent, en Limousin, une peine à exister hors des grands espaces métropolitains, de Paris à Bordeaux, explique-t-il. Il y a notamment la difficulté que la population rencontre vis-à-vis de la transition écologique, perçue comme imposée par des élites urbaines, peut-être plus difficile à appliquer sur des territoires où les déplacements ne peuvent être faits autrement que par des véhicules thermiques.«
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La consultation des cahiers de doléances originaux, rédigés en 2019 après la crise des « Gilets jaunes », est désormais ouverte à tous les citoyens. Jusqu’à présent, seules leurs copies anonymisées étaient accessibles. Aux archives départementales de Haute-Vienne, des milliers de revendications sont compilées.
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©David Caldas, Jean-Marie Arnal
Seul bémol, le désintérêt que manifestent les citoyens à l’égard de ces cahiers. Alors que des photocopies sont accessibles, les archivistes avouent qu’en plus de cinq ans, seules « quelques dizaines de demandes de consultation » ont été formulées. « Il y a eu des particuliers et des élus locaux, curieux de voir les contributions de leurs communes, et surtout des sociologues, qui travaillent sur des documentaires ou des travaux d’analyse, décrit Alain Dubreuil, responsable du service des publics et de la valorisation. On aurait pu imaginer et espérer une appropriation plus large.«
Cette ouverture d’archives à tous les Français s’avère exceptionnellement précoce. Le délai légal s’élève habituellement à cinquante ans. Pour mener encore plus loin cette initiative, le président de la République a d’ores et déjà annoncé qu’une fois numérisés, ces documents seraient consultables, par tous, sur internet en 2026.
Auteur : David Caldas
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